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croquants, des gens de rien, comme tous ces roturiers, à peine décrassés par la ridicule noblesse dont Bonaparte les a affublés. (Mouvement d’indignation du général Olivier, inaperçu jusqu’alors de Plouernel.) Est-ce que le roi aurait dû confier des commandements à tous ces héros de casernes, empestant la pipe et le rogomme, malotrus que nous sommes obligés de coudoyer aux Tuileries, nous, anciens émigrés qui les avons combattus sous cette infâme république ! Quoi ! nous avons tout sacrifié à nos maîtres, et ils nous font l’outrage de traiter à notre égal ces grossiers parvenus ! Comment ! ces espèces-là, du temps de leur empereur, s’exprimaient sur la maison de Bourbon de la façon la plus injurieuse, et ils acceptent aujourd’hui des grâces, des faveurs, des commandements du roi ! C’est donc pour le trahir lâchement un jour, à moins que ce soit tout simplement de la part de ces misérables renégats le dernier degré de la bassesse et de l’abjection, et qu’ils n’aient pas même conscience de leur ignoble apostasie !

LE GÉNÉRAL OLIVER se lève pâle de colère, et s’approchant brusquement de M. de Plouernel, lui dit d’une voix contenue. — Monsieur, vous regretterez, j’en suis convaincu, les dernières paroles que vous venez de prononcer, lorsque vous saurez que moi, lieutenant général, comte Olivier, j’ai servi l’empereur, à qui je dois mes grades et mon titre, car j’ai l’honneur d’être soldat de fortune, monsieur.

LE COMTE DE PLOUERNEL, toisant d’un regard dédaigneux le général Olivier. — Eh bien, monsieur, moi, Gaston, comte de Plouernel, commandant en second les mousquetaires noirs de Sa Majesté, j’ai l’honneur de n’avoir jamais servi que mes maîtres ; je les ai suivis en émigration, et je ne suis rentré en France qu’en 1814.

LE GÉNÉRAL OLIVIER, à part. — Qu’entends-je ? le comte de Plouernel, cet ex-colonel aux Gardes françaises qui, autrefois, a fait mourir sous les verges mon frère Maurice, m’a dit Victoria ; quoi ! c’est cet homme ! Ah ! j’ai un double motif de châtier son insolence ! (Haut et froidement à M. de Plouernel.) Monsieur, en prétendant avoir eu l’honneur de ne servir qu’un seul maître, j’aime à croire que vous n’entendez pas accuser de s’être déshonorés ceux-là qui, comme moi, après la chute de l’empereur, ont loyalement offert leur épée aux Bourbons ?

LE CARDINAL au général Olivier. — Eh ! monsieur, cette question est surabondante ; le comte, mon frère, n’a pu songer à…

LE GÉNÉRAL OLIVER, durement au cardinal. — Êtes-vous chargé, monsieur, de me faire agréer les excuses de votre frère ?