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Napoléon, qui, rêvant la monarchie universelle, et rétrogradant vers l’époque de la barbarie féodale, érigeait des duchés étrangers en grands fiefs de l’empire. Ces continuels envahissements de territoires, doublement impolitiques, car ils alarmaient l’Europe et blessaient la dignité, la nationalité des peuples, ainsi partagés comme des troupeaux de bétail humain, entre les membres de la famille de l’insatiable conquérant ; ces envahissements rallumèrent la guerre : une quatrième coalition se forma contre l’empire ; la Prusse, neutre dans la dernière guerre, prend part à cette ligue ; mais le 14 octobre 1806, elle est écrasée à la bataille d’Iéna ; le 26, l’armée française entrait triomphante à Berlin. La Russie, battue à Friedland, à Eylau, demande la paix ; elle est conclue à Tilsitt, le 21 juin 1807. À chacune de ces nouvelles victoires, le vertige de Napoléon augmentait : enivré par la constance inouïe de ses succès, la monarchie universelle devenait son idée fixe, et un autre de ses frères, Jérôme Bonaparte, fut investi d’un royaume formé de plusieurs États de la Confédération germanique. Le seul membre de la famille Bonaparte qui ne prit pas part à la curée des trônes que distribuait le conquérant, fut Lucien. Voulut-il expier ainsi volontairement sa complicité dans les événements de brumaire, ou fut-il victime d’une inconcevable ingratitude de l’empereur ? car, mis hors la loi par le conseil des Cinq-Cents, il ne dut son salut qu’à sa détestable présence d’esprit et à l’audacieux mensonge de son frère, qui exaspéra et entraîna les troupes en les persuadant que le général Bonaparte avait failli être assassiné par les mains des chevaliers du poignard. Il est de fait que Lucien ne reçut en partage aucune couronne. Le pape le créa prince de Canino, et il accepta cette principauté, acceptation au moins étrange, en raison des idées républicaines qu’il continuait, dit-on, d’affecter. Le recul de Napoléon vers les traditions de l’ancien régime dans ce qu’elles avaient de plus antipathique à la nation devenait de plus en plus exorbitant ; ainsi le droit d’aînesse, aboli par la révolution, fut rétabli. Cette révoltante iniquité au point de vue social et familial était imposée à l’empereur par la logique de ses funestes erreurs ; il reconstituait la noblesse, il lui fallait bien assurer sa perpétuité par les substitutions, témoin les décrets suivants :

« Quand Sa Majesté le jugera convenable, soit pour récompenser de grands services, soit pour exciter une noble émulation, soit pour concourir à l’éclat du trône, elle pourra autoriser un chef de famille à substituer ses biens libres pour former la dotation d’un titre héréditaire que Sa Majesté érigera en sa faveur, réversible à