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au général Bonaparte ! On le dit ambitieux ? Jugez donc quelle prodigieuse fortune il pourrait attendre de la monarchie dont il serait le restaurateur ; on le nommerait connétable, généralissime, maréchal, duc et pair, grand’-croix de Saint-Louis, que sais-je ? Enfin il recevrait de la cour au moins autant de faveurs, de titres et d’argent qu’elle en promettait à Pichegru avant vendémiaire.

LE JÉSUITE. — Pichegru était une tête à l’évent et un ambitieux vulgaire ; il n’en est point ainsi du général Bonaparte : il est très-fin, très-froid, très-rusé ; son ambition est sans borne.

HUBERT. — D’où savez-vous cela ?

LE JÉSUITE, souriant. — Ce bon M. Hubert s’imagine que lorsqu’il se produit dans l’ordre moral un événement, car c’est un événement un homme de l’importance du général Bonaparte, notre compagnie n’a point l’oreille et l’œil ouverts à l’endroit d’un pareil homme.

HUBERT. — Ainsi, mon révérend, vous savez…

LE JÉSUITE. — Beaucoup de choses, et entre autres que le général Bonaparte méprise trop profondément les hommes pour ne pas les connaître à merveille… Donc, il n’ignore point qu’une monarchie qui doit sa restauration à un Monck n’a pas de plus impérieux besoin que celui de se débarrasser dudit Monck, lorsqu’elle n’a plus que faire de lui ; il est ainsi plus que probable que le général Bonaparte, flairant d’ores et déjà la chose, préférera le rôle de Cromwell ou de César. En ces deux cas, nous serons contre lui, parce que ainsi il atermoierait pour longtemps peut-être le retour de l’ancien régime ; mais comme, après tout, et si improbable qu’elle soit, il est une chance sur mille pour qu’il songe à une restauration, nous gardons une complète neutralité dans les événements qui se préparent.


UN DOMESTIQUE, à M. Hubert. — M. Jean Lebrenn demande à parler à monsieur.

HUBERT, surpris. — Jean Lebrenn à Paris !… (Au domestique.) Priez M. Lebrenn d’attendre un instant. (Le domestique sort.)

LE JÉSUITE. — Mon cher monsieur Hubert, je désire ne point me rencontrer avec ce forcené jacobin…

HUBERT. — Passez par mon cabinet, vous descendrez par le petit escalier.

LE JÉSUITE. — En cas d’événements imprévus, vous m’écrirez… où vous savez.

HUBERT. — C’est entendu, adieu. Ah ! j’oubliais de vous demander des nouvelles du comte de Plouernel.