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de blessés français en Égypte [1], et une foule d’autres actes enregistrés par la sévère impartialité de l’histoire, témoignent du profond dédain de Bonaparte pour la vie des hommes ; et pourtant, nous ne voudrons jamais croire qu’il ait fait empoisonner Hoche. La mort de ce patriote illustre, aussi grand capitaine que grand citoyen, fut une perte irréparable pour la république ; il l’eût peut-être sauvée, affermie. Sa renommée militaire, l’élévation de ses mâles vertus civiques, prenaient chaque jour plus d’ascendant ; les regards, les vœux, les espérances des derniers amis de la liberté se tournaient vers lui. Selon les gens de guerre, son génie militaire égalait celui de Bonaparte ; la popularité de Hoche n’atteignait pas encore celle de son rival de l’armée d’Italie, parce que entre autres causes et si singulière qu’elle paraisse (ainsi que le disait judicieusement notre ami Castillon, la veille de la prise de Wissembourg),

  1. « Le siège de Saint-Jean d’Acre fut levé le 20 mai 1799. Arrivé à Jaffa le 27, Bonaparte fut obligé de continuer sa retraite. Il y avait environ trente à quarante pestiférés, nombre que Napoléon réduit à sept, qu’on ne pouvait transporter ; ne voulant pas les laisser derrière lui, dans la crainte, disait-il, de les exposer à la cruauté des Turcs, il proposa à Desgenettes de leur administrer une forte dose d’opium. Desgenettes lui fit la réponse si connue : « Mon métier est de guérir les hommes, non de les tuer. »
    Bourienne écrit dix pages entières pour soutenir l’empoisonnement contre ceux qui le nient : « Je ne puis pas dire que j’ai vu donner le poison, dit-il, je mentirais ; mais je sais bien positivement que la décision a été prise et a dû être prise après délibération ; que l’ordre en a été donné, et que les pestiférés sont morts ! Quoi ! ce dont s’entretenait, dès le lendemain du départ de Jaffa, tout le quartier général comme d’une chose positive, ce dont nous parlions comme d’un épouvantable malheur, serait devenu une atroce invention pour nuire à la réputation d’un héros ? »
    Napoléon, rentré au Caire, écrivait au général Dugna : « Vous ferez, citoyen général, trancher la tête à Abdella-Aga, ancien gouverneur de Jaffa. D’après ce que m’ont dit les habitants de Syrie, c’est un monstre dont il faut délivrer la terre… Vous ferez fusiller les nommés Hassan, Joussef, Ibrahim Salch, Mahamet, Bekir, Hadj-Soleh, Mustapha, Mohamed, tous mameluks. » Il renouvelle souvent ces ordres contre les Égyptiens qui ont mal parlé des Français : tel était le cas que Bonaparte faisait des lois ; le droit même de la guerre permettait-il de sacrifier tant de vies sur ce simple ordre d’un chef : Vous ferez fusiller ? Au sultan du Darfour il écrit : « Je désire que vous me fassiez passer deux mille esclaves mâles, ayant plus de seize ans. » Bonaparte aimait les esclaves.
    (Mémoires de CHATEAUBRIAND, vol. VIII, p. 74.)