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tigre altéré de sang, pouvait dépendre de quelques voix de majorité ; or, cette majorité pouvait être décidée par ma voix et celle de quelques-uns de mes amis qui votent toujours avec moi ; mon honnête gendre a donc très-probablement imaginé ceci : il s’est entendu avec mon indigne femme et ma malheureuse fille, afin de me séquestrer, espérant peut-être ainsi sauver le tyran ; sinon, je le demande à toute personne de bonne foi, que dis-je, je somme mon gendre, ma femme et ma fille, d’expliquer le pourquoi de ma séquestration…

Charlotte, sa mère et Jean Lebrenn dédaignent de répondre ; l’avocat s’écrie :

— Citoyen magistrat, je prends acte du silence des accusés, il est accablant pour eux ; tu le signaleras dans ton procès-verbal. Telle est ma déposition ; et de ce pas, je vais la renouveler auprès des membres du nouveau comité de salut public. As-tu écrit, citoyen commissaire ?

— J’achève, citoyen, — répond le magistrat, tandis que Charlotte, après avoir tout bas instruit son mari de la vérité en ce qui touchait la prétendue séquestration de l’avocat, ajoutait à voix basse : — Et maintenant, mon ami, par dignité pour toi, par égard pour ma mère et pour moi, garde, ainsi que nous le gardons, le silence du mépris. Ce malheureux que la peur rend insensé, criminel, si tu le veux, est mon père ; sa déclaration, si odieusement mensongère qu’elle soit, ne peut empirer la situation ; or, si nous essayons de prouver qu’il ment, si nous disons la vérité, nous l’envoyons presque assurément à l’échafaud ; puis-je donc, en présence de cette éventualité terrible, prononcer, moi, la fille de ce malheureux, un seul mot à sa charge ? Quant à ce qui me regarde, je suis enceinte, et ainsi à l’abri de tout danger, dans le cas, où le tribunal ajouterait foi à cette prétendue séquestration.

— Soit, chère et noble femme, à cette heure et en ta présence, je garderai le silence ; mais plus tard, j’aviserai, — répond aussi à voix basse Jean Lebrenn, cédant aux justes observations de Charlotte ; puis, réfléchissant : — Comment ton père a-t-il pour complice de ses impostures ce jésuite ? — Et soudain, Jean Lebrenn ajoute : — Qu’est devenu le coffret ?

— Il est en lieu sûr. Hier, j’avais d’abord songé à l’enfouir dans la cave à l’aide de Castillon, mais il m’a proposé de le porter chez un de ses amis, ouvrier comme lui, et qui demeure au fond du faubourg Antoine.

— Tu as sagement agi. La présence de ce jésuite ici me prouve que l’