Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/135

Cette page n’a pas encore été corrigée


— Lorsque l’un d’eux m’eut signalé, me voyant perdu, je me suis élancé par-dessus une clôture en planches qui entourait une maison en construction, au coin de la rue de Suresne, et je me demande à cette heure comment j’ai pu franchir, à mon âge, un pareil obstacle ; puis, j’ai gagné les terrains vagues de la Madeleine, entendant, ou peut-être croyant toujours entendre ces égorgeurs acharnés sur mes pas ; j’ai escaladé le petit mur de l’impasse Borel, puis j’ai enfin gagné la rue d’Anjou et votre maison, songeant que l’on ne viendrait pas me chercher ici, chez mon gendre, membre du conseil général de la commune. Pourvu, mon Dieu ! que je n’aie pas été suivi !!

— Il est à croire, mon père, que, dans le trouble de la frayeur, vous aurez cru que ces gens couraient après vous ; s’ils ont tenté de vous poursuivre, ils auront bientôt perdu vos traces.

— Il n’importe. Me voici un peu remis, et maintenant, je vous en conjure toutes deux, cachez-moi quelque part ; pour l’amour du ciel, cachez-moi !

— Que pouvez-vous craindre ici ?

— Ton mari doit me haïr, et…

— Jean, vous livrer, lorsque vous êtes venu, fugitif, vous confier à nous ! — reprend Charlotte avec un accent de reproche. — Ah ! mon père, une pareille crainte…

— Non, non, je connais la générosité de ton mari ; mais s’il n’est pas seul ? s’il rentre ici accompagné de quelque membre du conseil général ? je serai reconnu, arrêté, guillotiné…

— Encore une fois, mon père, Jean ne souffrirait pas que, réfugié chez lui, vous fussiez livré.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! mais qu’est-ce que cela vous fait de me cacher quelque part ? — s’écrie l’avocat d’une voix suppliante et déchirante ; — soit dans la cave, soit dans le grenier de la maison, jusqu’à ce que vous ayez pu instruire ton mari de ma présence ici ; car je te répète qu’il peut rentrer d’un moment à l’autre, et s’il n’est pas seul, je suis perdu, livré, guillotiné !

À ce moment, Gertrude, entrebâillant la porte, dit à sa jeune maîtresse d’un air mystérieux : — Madame, venez tout de suite…

— Je suis mort ! — murmura l’avocat d’une voix défaillante, — on a découvert ma retraite !

— Qu’est-ce, Gertrude ? — demande Charlotte. — que me voulez-vous ?

— Madame, c’est un cavalier de la maréchaussée.

À ces mots, la terreur de M. Desmarais est à son comble ; sa raison