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ne livrerai jamais mon ennemi personnel, lorsqu’il s’est réfugié sous mon toit. Sortez d’ici, descendez à petit bruit, et vous pouvez gagner la rue, car notre porte cochère ne se ferme que plus tard ; seulement, n’oubliez jamais que si vous n’étiez pas sous le coup d’une accusation capitale, j’aurais rudement châtié votre grossière insolence, mon ci-devant gentilhomme ; mais j’ai pitié de vous. Sortez d’ici.

— Me châtier, moi ! Tiens, vassal ! — répond M. de Plouernel, livide de rage, les yeux injectés de sang, et se jetant à l’improviste sur Jean Lebrenn, il lui applique à tour de bras un soufflet qui rend cramoisie la joue du jeune artisan. Celui-ci, à cet outrage, reste d’abord muet, immobile, foudroyé. Victoria, menaçante, terrible, va s’élancer sur le comte, lorsqu’il dégaine son poignard, se rencogne dans un angle de la mansarde et se tient sur la défensive, en disant avec un ricanement sardonique :

— Je mourrai content ; je t’aurai corrigé, vil manant ! Tu inscriras ce soufflet sur ta légende de famille !

— Victoria ! pas un mot, pas un geste ! Oh ! cet homme m’appartient maintenant ! — dit enfin Jean Lebrenn, pâle comme un spectre, arrachant des mains de sa sœur le pistolet qu’elle dirigeait sur la poitrine de M. de Plouernel ; puis, après un instant de réflexion, Jean va prendre avec un calme effrayant sur son établi de serrurier une barre de fer carrée, d’environ quatre pieds de longueur et grosse d’un pouce, arme terrible dans la main herculéenne de l’artisan.

— Mais, sers-toi donc de ton sabre ! — s’écrie Victoria dégainant cette arme faisant partie de l’équipement de Jean et accroché au mur, puis elle le donne à son frère ; il prend l’arme et répond :

— J’ai aussi besoin de mon sabre.

— Que veux-tu faire ?

— Obéir à la fatalité, puisqu’elle veut qu’une fois encore un fils de Joël et un fils des Neroweg se livrent un combat mortel ; — et, jetant le sabre nu aux pieds de M. de Plouernel, Jean Lebrenn