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vertus ! Oui, vous rachetez les méchants de votre race comme Christ a racheté, dit-on, le monde par sa grâce évangélique. » C’est au nom de ces belles paroles de mon aïeul Nominoë que je vous aurais pardonné, comte de Plouernel, en vous rendant solidaire, non des crimes de votre race, mais des vertus de cette angélique jeune fille et des vaillantes qualités d’un autre de vos ancêtres, hardi protestant républicain de son temps, le colonel de Plouernel, qui fut l’ami du grand Coligny et de mon aïeul, Odelin, l’armurier de La Rochelle.

— Tu mens ! — s’écrie le comte exaspéré, — jamais femme ou fille de la maison de Plouernel ne s’est déshonorée à ce point d’aimer un vassal. Quant au colonel de Plouernel, il est la honte, l’exécration de notre famille, et comme tel, bien digne d’avoir été l’ami d’un homme de la plèbe.

Jean Lebrenn, d’un geste, réclame le silence de sa sœur, qui se possède à peine, et répond, toujours imperturbable :

— Donc, je vous pardonne, comte de Plouernel, le mal que votre famille a fait à la mienne ; mais si j’ai le droit de me montrer généreux envers un ennemi personnel, mon devoir de citoyen, ma conscience, me défendent de donner asile à un ennemi de la nation et de la république.

— Quel hypocrite, quel plat gredin ! — s’écrie le comte, — il veut à la fois cumuler les dehors d’une générosité qui serait pour moi une insulte, et assouvir lâchement sa haine en m’envoyant à l’échafaud.

— Tu l’entends, frère, tu l’entends. Rougiras-tu enfin de ton indigne faiblesse ?

— Je ne rougis jamais, ma sœur, d’un sentiment d’honneur et d’équité, — répond Jean Lebrenn, s’efforçant encore de vaincre son indignation croissante, soulevée par l’opiniâtre et folle insolence de M. de Plouernel, et il ajoute en s’adressant à lui : — Je vous l’ai dit : mon devoir civique et ma conscience me défendent de donner asile à un ennemi de la république, mais je ne suis pas un délateur, je