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— Comte, cela prouverait, cela prouve simplement ceci : « La république, en restituant à la nation les terres volées par vos aïeux au peuple des Gaules, et cultivées par lui sans salaire à votre profit depuis quatorze siècles et plus, la république ne restitue à la nation qu’une portion presque inappréciable de ce dont vous l’avez larronnée, dépouillée… »

— Soit encore, citoyenne ; mon patrimoine était le fruit du vol, la république a légitimement confisqué mon héritage, je suis dépossédé, donc hors d’état, comme je le disais tout à l’heure, de payer…

— De payer tes dettes d’argent, comte, — répond Victoria, et elle ajoute avec un sourire féroce : — Mais pour payer les dettes de sang contractées par ta race, il te reste…

— Quoi ?

— Ta tête !

M. de Plouernel, malgré son courage, malgré l’empire que, par orgueil, il prenait sur lui-même, afin de lutter de sang-froid et de raillerie lugubre durant cet étrange entretien, M. de Plouernel, quoiqu’il eût fait sincèrement le sacrifice de sa vie, ne put s’empêcher de frémir devant l’effrayante expression des traits de Victoria, et celle-ci, renonçant alors à son affectation de calme sinistre, reprit, s’animant peu à peu :

— Ah ! tu crois peut-être que cette dette de sang que ma famille plébéienne revendique de ta noble maison est la seule dette que ta race ait à payer à la nôtre ? Mais songe donc à cette effroyable dette de sang contractée par la royauté, la noblesse et le clergé envers le peuple depuis tant de siècles ! mais songe donc qu’il n’est pas un prolétaire, un bourgeois qui n’eût à faire à la noblesse une revendication aussi terrible que la mienne, si chaque famille plébéienne connaissait ses martyrs comme nous connaissons les nôtres, nous, fils de Joël !… Ah ! tu crois peut-être que les tribunaux révolutionnaires, en envoyant à l’échafaud les aristocrates convaincus du crime de haute trahison, n’ont voulu punir que cette trahison ? Non, non, ils punissaient