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marchand de Nantes, fut, ainsi que sa fille, entraîné dans les cachots du donjon du sire de Plouernel, et là, expira dans d’épouvantables tortures ; ton noble ancêtre voulait, ainsi que cela se pratiquait au beau temps de la féodalité, forcer sa victime de racheter sa vie par une énorme rançon ; sa fille, témoin de ce supplice, devint folle et mourut d’épouvante. Tu as accepté, comte, le nom et l’héritage de tes pères, tu me dois encore le prix du sang de mon aïeul Bezenech-le-Riche et de sa fille.

— Est-ce tout ce que je te dois ?

— Oh ! non : ta race était si prodigue… de sang. Écoute encore : Den-Braô-le-Maçon laissait un fils, serf comme lui, Fergan-le-Carrier. Un jour l’enfant de celui-ci est enlevé par ordre du sire de Plouernel ; il destinait l’innocente créature à servir aux philtres magiques d’une belle sorcière, Azénor-la-Pâle ; elle habitait le donjon du sire, et pour la réussite de ses incantations, elle avait besoin d’égorger un enfant ; mais Fergan put délivrer son fils et partit pour la croisade, ainsi que d’autres milliers de serfs, afin d’échapper aux misères, aux horreurs du servage féodal. Un jour Fergan rencontre au milieu des déserts de la Syrie le sire de Plouernel, seul, perdu dans les sables, sans armes et se traînant sous une robe de pèlerin ; il n’y avait plus là ni serf ni seigneur, mais deux hommes égaux devant l’immensité. Une lutte s’engagea, lutte généreuse, trop généreuse, de la part de Fergan, qui n’usa pas de son bâton, dont il pouvait assommer son seigneur comme un chien enragé, lutta contre lui corps à corps… Une trombe sépara les combattants, ils échappèrent à la mort.

— Et voilà le serf et le seigneur partant quittes ?

— Quittes ? non : Fergan laissait à sa descendance le devoir de venger Den-Braô, son père, son parent Bezenech-le-Riche et sa fille. Enfin, plus tard, lors de la croisade de Simon de Montfort contre les Albigeois, croisade dont l’un de tes ancêtres, chevalier du Temple, fut l’un des plus impitoyables bourreaux, mon aïeul, Karvel-le-