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amas de paille, s’ouvrait une trappe donnant accès à une cachette, ainsi que l’on dit en ces temps-ci, cachette assez spacieuse pour contenir quatre lits, et recevant suffisamment d’air et de jour à l’aide d’un tuyau aboutissant à un corps de cheminée, dont la maçonnerie formait l’une des parois de ce lieu de refuge, parfaitement combiné ; car si l’on eût opéré une perquisition au domicile de l’ex-bedeau, celui-ci, prévenu par le signal du portier, aussi dans la confidence, avertissait les personnes réfugiées chez lui : elles sortaient alors par l’issue secrète et gagnaient la cachette, d’autant plus sûre que, l’issue du placard même découverte, l’on devait supposer que les fugitifs s’étaient évadés par l’escalier de la maison voisine. Il existe dans Paris une infinité de ces lieux de refuge, organisés grâce à l’or des royalistes et destinés aux prêtres réfractaires, aux ci-devant nobles et aux suspects, qui conspirent incessamment contre la république.

Donc, ce soir-là, un conciliabule royaliste se tenait dans le logis de l’ex-bedeau : le comte de Plouernel, son frère puîné, évêque in partibus de Gallipoli ; le marquis de Saint-Estève, ce rieur imperturbable et insupportable, qui, environ quatre ans auparavant, assistait au souper donné par le comte à la prétendue marquise Aldini ; le jésuite Morlet ; tels sont les membres présents du conciliabule ; ils sont assis sur des chaises d’église, autour d’un poêle de faïence ; tous sont vêtus bourgeoisement et portent leurs cheveux sans poudre ; seul le marquis est poudré à frimas, porte un élégant habit de drap amarante à boutons d’or, des culottes d’étoffe pareille à l’habit, et ses bas de soie blancs sont à demi cachés par les revers de ses bottes à la jockey ; sa bonne humeur ordinaire et sa jovialité ridicule se lisent sur ses traits, aussi épanouis que si, à cette heure, il ne jouait pas sa tête. L’évêque de Gallipoli, de quelques années moins âgé que le comte de Plouernel, est vêtu en laïque ; il ressemble beaucoup au comte, et ses traits, comme les siens, expriment en ce moment une sombre énergie : tous deux, ainsi que le marquis, depuis longtemps émigrés, sont récemment parvenus à passer la frontière et à gagner Paris, où ils se tiennent