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Mais le petit Rodin était à trop bonne école chez son doux parrain pour donner dans le panneau ; il resta imperturbable, ne parut pas avoir entendu le capitaine et fit de nouveau signe qu’il était sourd et muet en poussant un soupir lamentable. Ce soupir, le geste et la physionomie de l’enfant furent empreints d’une expression si naïve, si sincère que le capitaine Martin et les volontaires témoins de cette scène inclinèrent à croire qu’en effet le fillot du jésuite n’avait l’usage ni de l’ouïe ni de la parole. Le capitaine reprit :

— Si ce petit gueux est, en effet comme il le paraît, sourd et muet, on l’enverra chez l’abbé Sicard ; il aura là un fameux élève ! — Puis, s’adressant au jésuite, intérieurement ravi du sang-froid et de l’adresse de son fillot : — Mais toi, vieux coquin, qui n’es ni sourd ni muet, tu seras payé selon tes mérites ! Allons, en route pour le quartier général.

Mira ta bi lou, — répond le jésuite, simulant de nouveau l’impatience d’un homme fatigué des balivernes qu’on lui conte ; et le révérend père répète : — Mira ta bi lou !

— Je comprends parfaitement, — reprend le capitaine Martin, — car le hasard veut que j’aie appris autrefois cette langue étrangère et des plus étrangères, que tu parles si purement… Donc, tu me demandes si mira (la corde), ta (sera), bi (bien), lou (solide) ? Sois tranquille à cet égard, tu seras congrûment et très-solidement pendu ! — ajoute le capitaine ; et se tournant vers Jean Lebrenn : — Camarade, tu vas conduire les prisonniers au quartier général, tu remettras ces fragments de papier à l’un des aides de camp de service à qui tu rendras compte de ta capture… peut-être pourra-t-on déchiffrer quelque chose… Un ou deux volontaires t’accompagneront.

— Ne dégarnis pas ton poste, citoyen capitaine, — dit Duchemin, — en m’en retournant à ma batterie, j’accompagnerai le camarade jusqu’à la maison qu’occupe le général, et à nous deux nous suffirons de reste à l’escorte de ce galopin et de cet honnête agent de Pitt et de Cobourg.