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de ma batterie, prendre position ; j’activais à coups de plat de sabre deux jeanfesses de mauvais charretiers conducteurs d’artillerie [1], qui menaient les six chevaux attelés à Carmagnole, et qui (ces mauvais charretiers) rechignaient en diable à aller au feu… lorsque soudain un escadron de hulans prussiens, jusqu’alors à nous caché par un pli de terrain, se démasque et nous charge. Nous étions soutenus par un escadron du fameux troisième hussards. On se peigne en plein ; mais voilà-t-il pas qu’au milieu de la peignée, mon brave Rouget se cabre… et vous empoigne par le chignon de l’encolure le cheval d’un hulan à qui je travaillais les côtes. Mon brave Rouget ne démordait pas son Prussien à quatre pattes… il reçoit une balle dans la cuisse, il tombe… et moi aussi. Je me trouvais dessous… je croyais avoir la jambe cassée… heureusement je me trompais : la blessure de Rouget était peu de chose, la balle avait entamé le gras de la cuisse, et je me suis remis en selle après avoir été dégagé par le fameux duo du troisième hussards… C’est la première fois que je les ai vus, ces deux héros de l’armée du Rhin !

— Quel duo, l’ancien ?

— Victor et Olivier, du troisième hussards, — répond Duchemin. — On les appelle le duo dans leur régiment, parce qu’ils ne se quittent jamais… chargeant ensemble comme des démons… Ils ont été, en une seule semaine, mis trois fois à l’ordre de l’armée… et c’était justice, car il y a d’aussi crânes soldats que le duo, mais plus crânes, c’est défendu… Olivier est maréchal des logis ; mais Victor a refusé les galons, afin de ne pas quitter le peloton de son camarade.

— Olivier ?… Victor ?… — se disait Castillon avec une sorte de stupeur, songeant à l’apprenti qui, depuis plusieurs mois, avait quitté l’atelier de Jean Lebrenn, ainsi que sa sœur Victoria, et desquels on

  1. La création des soldats du train d’artillerie est postérieure aux premières guerres de la république. À cette époque, des entrepreneurs se chargeaient de l’attelage et de la conduite des pièces d’artillerie. Cette organisation des charrois était pour ainsi dire civile.