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ainsi… — répond Duresnel avec une légère émotion ; puis il ajoute : — Enfin, je me suis dit (toujours parlant à ma personne) : Benjamin, donner son argent à la patrie, c’est bien ; mais cela ne suffit point. Tu n’es guère robuste ; tu as été, comme l’on dit, élevé dans du coton. Tu n’es peut-être point brave du tout ; mais la république t’appelle à la frontière, il faut y aller, Benjamin ; il faut y aller sans retard, et puisque te voilà rétabli, va t’engager. Ainsi me suis-je dit, ainsi ai-je fait. On m’a gardé deux mois à Paris, au dépôt du bataillon, séant à la caserne des Picpus, où j’ai appris un peu la manœuvre ; après quoi, j’ai monté en chaise de poste, je suis arrivé hier à Strasbourg, j’ai profité tantôt de l’escorte qui accompagnait à Ingelsheim les citoyens représentants du peuple Saint-Just et Lebas, j’ai rejoint le bataillon, et me voilà… Seulement, et j’en reviens là, parce que, paole d’honneur, cette idée me chiffonne… j’ai terriblement peur d’avoir peur demain.

— Un verre de vin de la Moselle chassera cette crainte-là, camarade, — dit le capitaine Martin ressentant une sympathie croissante pour ce jeune homme, et voyant revenir l’aubergiste avec deux paniers remplis de bouteilles : — Allons, mes amis, buvons à la bienvenue du citoyen Duresnel, — ajoute le capitaine Martin en remplissant un verre qu’il offre au nouveau volontaire. — Trinquons, camarade…

— Merci, capitaine, je ne bois jamais que de l’eau sucrée. — Et avisant sur le buffet de la cuisine une cruche contenant de l’eau, Duresnel se verse une limpide rasade ; puis, élevant son verre : — À la santé de mes braves compagnons du septième bataillon de volontaires parisiens !

— À la santé de notre camarade Duresnel ! lequel, malgré son petit nom de Benjamin, ses airs muscadins et sa bouche en cœur, est bon patriote et sera un brave soldat, paole d’honneur ! — répond Castillon tendant la main au jeune homme avec une sincère cordialité, sentiment amical partagé par les autres volontaires, de mieux en mieux