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proie à une incertitude navrante sur le sort de Pierre, car deux ou trois mois après la bataille, le maire du village recevra des bureaux de la guerre une notification sèche et brève portant que le nommé Pierre, natif de… département de… n’ayant pas répondu à l’appel et n’étant pas présent aux ambulances le soir et le lendemain du combat, est PRÉSUMÉ DÉCÉDÉ OU DÉSERTEUR… de sorte que le pauvre Pierre est mort en brave, ses os ont depuis longtemps blanchi sur la terre étrangère, et l’infamie d’une lâche désertion peut peser sur sa mémoire. Sa famille enfin, pendant des mois, des années, se dit chaque jour : « Peut-être il reviendra… » Mais, hélas ! Pierre ne doit plus revenir !

En résumé, les bataillons de volontaires doivent à leur organisation même, à leur constitution pour ainsi dire familiale, à l’esprit politique dont ils sont animés, des avantages presque capables de suppléer dans une certaine mesure à ce qui leur manque, à savoir : la rigoureuse observance de la discipline, la science de la manœuvre, la précision dans le maniement des armes, l’habitude des longues marches et des privations de la vie militaire ; aussi, nos généraux, après avoir ébranlé à coups de canon les rangs ennemis, engagent-ils toujours autant que possible les volontaires par masses dans des charges à la baïonnette ; lutte corps à corps où la bravoure individuelle, l’élan patriotique et la vieille furie gauloise ont si souvent triomphé des meilleures troupes de l’Europe. Est-ce à dire que pour battre ces troupes aguerries, solides, rompues à la tactique, il ait suffi de lancer sur elles des masses désordonnées de citoyens, sachant à peine manier le fusil et marcher au pas, mais que l’ardeur de leur patriotisme et leur résolution de vaincre ou de périr devaient à coup sûr rendre victorieux ?… Non, non… une telle croyance, si elle s’enracinait jamais dans les esprits, serait la joie de nos ennemis et un jour notre perte… car en rase campagne, et dans l’état normal de la guerre, une armée habituée au feu, bien disciplinée, bien manœuvrée, bien commandée, bien pourvue d’artillerie et de cavalerie,