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vous poursuit… Pouvez-vous craindre, pouvez-vous supposer que nous ayons pour vous une parole de blâme ?… Vos nouveaux chagrins nous inspirent la compassion la plus tendre… Ah ! si notre affection fraternelle pouvait s’accroître, elle s’accroîtrait devant cette preuve touchante de l’invincible persistance de l’unique amour de votre vie… Ne savons-nous pas que pour vous, hélas !… aimer Olivier… c’est être encore fidèle au souvenir de Maurice !

— Et cependant cet amour, aussi pur que l’autre l’a été, serait odieux, serait révoltant, — murmure Victoria d’une voix navrante, — odieux ! car ce serait une sorte d’inceste… révoltant ! car je suis d’âge à être la mère de cet enfant… Ah ! tu l’as dit autrefois, mon frère ! elle est inexorable la fatalité du crime de Louis XV !… Si, à douze ans, je n’avais été souillée par ce monstre… j’aurais épousé Maurice… j’aurais vécu épouse honorée… mère heureuse !… Mais non… non, la fatalité de mon déshonneur m’a poursuivie, me poursuit sans trêve ! La révélation de ma honte a poussé Maurice au désespoir ! Il est mort des suites d’un supplice infamant, et j’ai failli être cause… je serai cause de la mort du frère de Maurice… Misère de moi !… Olivier se tuera… et je l’aime, cet enfant ! oui, je l’aime… Cela est horrible… cela est monstrueux… je l’aime d’un amour inexplicable… tantôt grave et chaste comme l’amour d’une mère, tantôt d’un amour qui couvre mon front de rougeur… Ah ! peu m’importe la vie… j’y aurais déjà mis fin…

— Victoria ! ma sœur…

— J’aurais déjà, vous dis-je, mis fin à ma vie ; mais Olivier ne me survivrait pas d’un jour… N’est-ce pas assez pour moi d’avoir causé la mort de Maurice ?… faut-il donc aussi voir se suicider à dix-huit ans cet enfant qui deviendrait peut-être un héros !… Ah ! vous ignorez l’espèce de seconde vue que donne l’amour… J’ai deviné aux instincts, aux aspirations, aux confidences d’Olivier cette vocation intérieure qui lui disait : Tu seras grand capitaine… tu t’illustreras, non dans ces guerres infâmes suscitées par la féroce