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D’autres écriteaux portaient ces mots :

Citoyens, gardez le silence… et restez couverts, le roi va passer devant ses juges.

Le premier de ces écriteaux, empreint d’une farouche énergie, révélait cependant une distinction d’une remarquable délicatesse entre des applaudissements serviles, et le respect que l’on doit à un ennemi réduit à l’impuissance ; le second écriteau faisait noblement appel à la dignité du peuple souverain. Les sentiments exprimés par ces paroles étaient ceux (je le répète) de l’immense majorité de la foule, profondément irritée contre Louis XVI, indignée des inqualifiables décrets des représentants du peuple, mais calme dans sa force et, après tout, sentant bien que, le moment venu, elle jugerait les choses en dernier ressort, résolue jusque-là de ne pas outrager lâchement Louis XVI, mais de lui prouver par un silence plus menaçant que les clameurs de la colère, qu’il passait devant ses juges, ainsi que le disait l’écriteau. Le peuple donna bientôt un exemple de la silencieuse dignité qu’il voulait conserver. Une rumeur d’abord lointaine et répétée de proche en proche annonça l’arrivée du roi ; l’on vit passer au galop, allant à la rencontre du cortège, La Fayette à cheval escorté d’un brillant état-major de bleuets. La haie de gardes nationales, à l’aspect du général, poussa les cris enthousiastes de : Vive La Fayette ! Vive la constitution ! Vive le roi constitutionnel… — Quelques voix même ajoutèrent : — Vive le restaurateur des libertés françaises ! — Et, à bas la république !

À ces cris, à ces nouvelles provocations de la garde bourgeoise, le peuple répondit par un silence absolu et d’une signification formidable, car il prouvait la discipline, l’accord de cette populace prétendue effrénée, indisciplinable ; mais, au bout de quelques instants, le peuple put, à son tour, témoigner hautement ses sympathies révolutionnaires. L’on vit s’avancer, allant aussi à la rencontre de Louis XVI, le brave Santerre, si populaire dans le faubourg Saint-Antoine. Il était à cheval, accompagné de deux patriotes exaltés,