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sacrificateurs et victimes ! effroyable holocauste offert au salut de la patrie ! aberration sacrilège ! pertes irréparables ! deuil éternel ! ô patrie ! mère divine et sainte ! c’est en ton nom béni qu’ils se décimeront, tes plus chers, tes plus héroïques enfants ! La conscience de ceux qui tuent sera aussi sereine, irréprochable, que la conscience de ceux qui meurent !… Et tu couvriras de tes larmes les vaincus et les vainqueurs de ces luttes fratricides ! !

Ne l’oubliez pas, fils de Joël, cette journée du 21 juin 1791, où se prononça la scission des jacobins et des cordeliers, fut le germe de ces discordes intestines qui, depuis, allèrent toujours s’envenimant, toujours se creusant de plus en plus entre les diverses fractions du parti patriote, qui voulaient toutes sincèrement le triomphe de la révolution, et amenèrent successivement des luttes mortelles entre les constitutionnels et les républicains, les girondins et les montagnards, la commune de Paris et la Convention nationale, et causèrent enfin l’exécrable réaction du 9 thermidor, dont Robespierre et plusieurs membres du comité de salut public et du comité de sûreté générale, furent les martyrs immortels… Ils avaient du moins, par leur infatigable énergie, sauvé les conquêtes de 1789 et de 1792, terrifié les ennemis de la république et refoulé bien loin de nos frontières les tyrans étrangers ligués contre la France…

Dieu juste ! ce triomphe de la république ne pouvait-il donc s’obtenir qu’au prix du sang des géants de la révolution s’immolant les uns les autres au nom du salut public ?… Erreur funeste ! erreur impie ! Ces valeureux soldats de l’affranchissement du monde ne portaient-ils pas sur leur bannière : — liberté, — égalité, — fraternité ? — Ne devaient-ils pas se serrer en un bataillon sacré, fraternelle phalange, commandée par celui ou par ceux que le génie, l’aptitude, la nécessité du moment ou le choix du peuple portaient au commandement, et chefs ou soldats, tous pour chacun, chacun pour tous, abdiquant toute personnalité, solidaires les uns des autres, ne devaient-ils pas servir, de toutes les forces de leur esprit, de leur