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élancé à la tribune, et, de sa voix incisive, il s’exprime ainsi dans la fougue de sa verve railleuse et mordante :

« — Citoyens, pendant que l’Assemblée nationale décrète… décrète… décrète… décrète… toujours, et décrète encore… tant bien que mal, et plutôt mal que bien… le peuple fait admirablement la police… et, se montrant non moins ami du provisoire que l’Assemblée nationale… il décrète que tout pillard sera provisoirement… accroché à la lanterne… En traversant tout à l’heure le quai de Voltaire, je vois La Fayette qui s’apprêtait à passer la revue des bataillons de bleuets, rangés sur ledit quai ; moi, convaincu du besoin de se réunir autour d’un chef, je cède à un mouvement d’attraction, qui m’entraîne vers le fameux cheval blanc… — Monsieur de La Fayette, lui criai-je, j’ai dit bien du mal de vous depuis un an, et je n’en pense pas moins. Voici l’heure de me convaincre de faux témoignage en sauvant la chose publique ! — Je vous ai toujours reconnu pour un bon citoyen, — me répond galamment le général en me tendant la main ; — le danger commun a réuni tous les partis. Il n’y a plus dans l’Assemblée nationale qu’un seul esprit. — Un seul esprit ? C’est peu pour une si nombreuse et si illustre assemblée, — ai-je reparti au général. — Mais pourquoi cet unique esprit de l’Assemblée affecte-t-il de placer dans ses décrets le mot enlèvement du roi, tandis que ce ci-devant écrit à l’Assemblée qu’on ne l’enlève point et qu’il part ? »

— Bravo, c’est cela… — crie-t-on dans les tribunes. — Il a raison ! — Voilà la question !

« — Je pardonne le mensonge à une servante qui ment dans la crainte d’être chassée si elle dit la vérité, — poursuit Camille Desmoulins ; — mais l’Assemblée n’est point, que je sache, la servante de l’exécutif présent ou fuyard ? L’Assemblée a trois millions de piques ou de baïonnettes à son service… D’où vient donc la bassesse ou la trahison qui lui ont dicté un si gros mensonge ? — Le roi enlevé ! — L’Assemblée corrigera cette faute de rédaction,