Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


— Vous ne sortirez pas, madame !

— Pardon, mon cher beau-frère, de ne vous avoir pas encore serré la main, à vous, de qui j’attends une hospitalité de quelques heures, — dit M. Hubert, s’avançant à la rencontre de l’avocat ; — mais il y a si longtemps que je n’ai vu ma sœur, que mon premier mouvement a été de courir à elle… et…

— Citoyen Hubert, — répond l’avocat, pâle, tremblant de colère et de peur, — la maison d’un montagnard de la Convention ne servira jamais de refuge aux traîtres à la patrie !

— Grand Dieu ! — murmure madame Desmarais, joignant les mains avec épouvante ; — qu’entends-je ?

— Quoi ! beau-frère, je viens loyalement vous demander asile pour quelques heures, à vous, mon parent, à vous, jadis mon ami, et vous auriez le courage de…

— Citoyen Hubert, les ennemis de la république sont mes ennemis mortels ; je les traite en ennemis mortels lorsqu’ils me tombent sous la main !

— Ah ! je l’avoue, malgré ma fermeté, un pareil accueil me bouleverse et m’anéantit ! — murmure M. Hubert, frappé de stupeur, tandis que sa sœur s’écrie, en proie à une angoisse déchirante : — Mon frère, ne crois pas à ce que te dit mon mari ; il est incapable d’exécuter sa menace, il n’est pas méchant… Tout à l’heure encore il maudissait les excès, les horreurs de la révolution ! …

— Malheureuse ! — s’écrie M. Desmarais, presque effrayant, en saisissant sa femme par le poignet ; — vous tairez-vous ? — Puis, s’adressant à son beau-frère : — Citoyen Hubert, si vous ne sortez à l’instant de cette demeure républicaine, que souille votre présence, j’envoie chercher la garde à la section, et je vous fais arrêter au nom du peuple et de la loi !

— Ma sœur ! le croira-t-on jamais ? — dit M. Hubert avec une indignation amère. — Fugitif, proscrit ! je viens demander à un parent, au foyer de qui j’ai vécu vingt ans, un refuge de quelques