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sur un meuble, une jeune fille que sa compagne voulait, en riant, coiffer de ce bonnet. Nous ne vîmes pas, ma sœur et moi, commettre aux Tuileries le moindre dégât, le moindre larcin. La foule semblait uniquement partagée entre une curiosité railleuse et une indignation légitime, en considérant les immenses et somptueux appartements de ce prince, « qui se plaignait de l’insuffisance des quarante millions de sa liste civile, qui, disait-il, ne lui permettait pas les commodités de la vie. » En sortant du château, nous avons descendu les boulevards, afin de gagner le faubourg Saint-Antoine. Partout se manifestait l’aversion pour la royauté, le mépris pour la personne de Louis XVI ; partout, sur les enseignes des boutiques, ou sur les écriteau des rues, l’on effaçait les mots : roi, reine, Bourbon, etc., etc. À mesure que nous pénétrions davantage dans les quartiers populaires, nous avons remarqué, au sujet de la fuite du roi, une profonde indifférence, ou une sorte d’allégement mêlé de vagues aspirations républicaines. À l’inverse de l’instinct égoïste et aveugle de la bourgeoisie, l’instinct du peuple lui disait clairement que la république pouvait seule défendre, sauver, compléter les conquêtes de la révolution. Le bon sens des masses exprimait leur sentiment avec une naïveté pleine de force. J’ai entendu dire à une femme du faubourg Saint-Antoine :

« — Le gros Veto » (sobriquet donné à Louis XVI depuis l’adoption de la loi du veto suspensif, loi si profondément antipopulaire) ; — « le gros Veto est donc parti ? Ma foi, ça prouve que l’on peut joliment bien dormir sans roi ; car, cette nuit, je n’ai fait qu’un somme… et, durant le jour, je gagerais que je ne m’apercevrai pas davantage que nous n’avons plus de roi ! ! »

Plusieurs organes de la presse patriote, du 22 juin (1791), encourageaient les tendances républicaines, soit en demandant ouvertement la république, soit en y préparant les esprits, en exigeant la déchéance de Louis XVI, qui, par sa désertion de son poste, déchirait le contrat qui l’unissait à la nation. L’un des rares répu-