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possible de m’arrêter. D’abord, seulement avide de popularité, j’ai cru l’acquérir, je l’ai acquise en devançant l’opinion des plus avancés ; puis, lorsque, par la force des choses, les passions politiques se sont aigries, irritées, exaspérées, à ce point qu’elles sont devenues des luttes à mort, où l’avantage devait rester aux plus violents, aux plus impitoyables, il m’a bien fallu me ranger du côté des violents, des impitoyables ; voilà pourquoi je siège à la Convention sur la crête de la montagne, entre Marat et Robespierre ; voilà pourquoi je voterai la mort du roi, voilà pourquoi je voterai les mesures les plus inexorables, les plus sanguinaires !  !

— Non ! mille fois non ! c’est te faire outrage à toi-même, mon ami ; je connais ton cœur…

— Laisse-moi donc tranquille ! Est-ce qu’il s’agit de cœur ? Il s’agit de mon cou, il s’agit de vivre, et je tiens à la vie, moi ! Si c’est une lâcheté, eh bien, je l’avoue, oui, je tiens à la vie, à ma fortune, à ma femme, à ma fille ; et pour me conserver ces biens, j’irai, s’il le faut, jusqu’au bout.

— Mon ami, écoute-moi, par pitié.

— J’ai une peur affreuse de la guillotine, moi, je ne le cache pas ; eh bien, j’aime mieux voir, ou faire guillotiner les autres, que d’y passer…

— Je t’en conjure, calme-toi, écoute-moi !

— Mais, que veux-tu que je fasse ?

— Fuyons la France !

— Tu es folle… où veux-tu que j’aille avec mon renom de révolutionnaire exalté ? Est-ce que l’on m’accueillerait en pays étranger ? moi… ex-montagnard de la Convention ? Est-ce que, d’ailleurs, en émigrant je ne perdrais pas mes biens ? Est-ce que les mesures les plus rigoureuses, et la peine de mort… j’ai voté tout cela… ne rendent pas l’émigration, sinon impossible, du moins des plus difficiles et des plus périlleuses ? Est-ce qu’aux approches du jugement de cet infortuné Louis XVI, la surveillance n’est pas redoublée sur