Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inaccoutumés dans une armée, toujours silencieuse dans les rangs ; ces cris frappent les Prussiens d’une sorte de stupeur et les déconcertent. La furie de cette charge à la baïonnette, lutte corps à corps, où l’élan de la bravoure individuelle doit toujours triompher de la régularité d’une manœuvre automatique, ébranle, déroute la vieille infanterie prussienne, la meilleure de l’Europe ; elle hésite, recule et est bientôt culbutée des hauteurs de Valmy dans la plaine. Deux fois les Prussiens sont ramenés à la charge, deux fois ils sont refoulés à coups de baïonnette dans le ventre ou dans les reins, aux cris de : Vive la nation ! … Le soir, le duc de Brunswick bat en retraite ; le champ de bataille reste aux Français.

Cette première victoire, d’une médiocre importance au point de vue militaire, eut cependant sur l’avenir de nos armées républicaines une prodigieuse influence. Oui, de ce jour, soldats et volontaires, pleins de confiance et d’audace, se sentirent invincibles, parce qu’ils combattaient pour la défense de la patrie et pour l’affranchissement des peuples ; de ce jour aussi, la vieille tactique de la guerre monarchique était bouleversée par la fougue révolutionnaire ; les troupes les mieux disciplinées, les mieux rompues au mécanisme passif de la charge en douze temps, ne purent soutenir l’irrésistible élan de ces masses presque désordonnées de soldats citoyens, qui, bravant fusillade, mitraille, boulets, obus, abordaient l’ennemi à la baïonnette ; et, sans tirer un coup de fusil, enlevaient des batteries de cinquante canons aux cris de : Vive la république ! Ah ! ce cri magique était le secret de ces victoires inouïes, qui plus tard frappèrent les despotes d’épouvante. Nos soldats citoyens, répétons-le, combattaient et mouraient au nom d’un principe sacré : la liberté de la patrie et l’affranchissement des peuples ! Une pareille foi devait enfanter des miracles… Comment nos bataillons, exaltés par cette idée sublime, n’auraient-ils pas triomphé des armées ennemies, impassibles, muettes sous les armes comme des machines humaines conduites à coups de bâton par des officiers aristocrates ? Enfin,