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inconnue dans les usages de la guerre. La campagne s’ouvrait ainsi sous les auspices les plus désastreux. Dumouriez, cet aventurier sans conviction, mais doué du génie militaire, écrivait au ministre de la guerre Servan :

« — Verdun est pris, j’attends les Prussiens. Le camp de Grand‑Pré et celui des Islettes sont les Thermopyles de la France, mais je serai plus heureux que Léonidas. »

Cette jactance, habituelle aux gens de guerre nourris sous la monarchie, ainsi que l’était Dumouriez, et qui revendiquent presque pour eux seuls la victoire, faillit être funeste à ce général. S’il répara son premier échec, il dut la victoire moins encore à ses talents militaires qu’au patriotique et irrésistible élan de son armée, entraînée par Kellermann, ancien sous-officier.

Il faut, d’ailleurs, rendre cette justice à Dumouriez : d’un coup d’œil prompt et sûr, il avait d’abord parfaitement choisi son champ de bataille, la forêt de l’Argonne. Elle s’étendait depuis Sedan jusqu’à Sainte‑Menehould. Longue de treize lieues environ sur une profondeur inégale, coupée de ravins, de marais, d’étangs, de fondrières, elle n’offrait de praticable à une armée que cinq étroits passages. Ces défilés naturels, que l’on pouvait rendre presque inexpugnables, étaient ceux du Chêne‑Populeux, de la Croix-au-Bois, du Grand‑Pré, de la Chalade et des Islettes. Dans cette position, Dumouriez voulait arrêter l’ennemi, en attendant les bataillons de volontaires qu’on lui envoyait de toutes les parties de la France. Il donna l’ordre au général Beurnonville d’être le 13 septembre à Rhetel. Le général Duval devait lui amener sept mille hommes, et Kellermann arrivait de Metz à marches forcées, à la tête de vingt-deux mille hommes.

Dumouriez gagne la forêt de l’Argonne par une manœuvre habile et hardie, effectuée presque sous les yeux de l’ennemi, et occupe le passage du Grand‑Pré ; le général Dillon défendait les Islettes et la Chalade ; le général Chazot, le défilé de la Croix‑au‑Bois ; enfin, la