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frappera leurs pareils d’une terreur salutaire. La patrie est sauvée !

— Ma sœur, — ai-je repris après quelques instants de recueillement, — les émotions, les fatigues si diverses, éveillées en moi par ce que j’ai vu aujourd’hui et par ton récit, dont la sincérité n’est pas douteuse, tout porte non le doute, mais la lassitude, mais une sorte de trouble en mon esprit. J’ai besoin de repos, de sommeil pour retrouver la complète lucidité de mon jugement.

— À demain, frère.

— À demain ; mais, avant de te quitter, Victoria, laisse-moi, sans que je veuille en cela engager de nouveau la discussion, laisse-moi, dis-je, te poser seulement deux questions ; tu les méditeras à loisir.

— Je t’écoute.

— Suppose-toi prisonnière et coupable du plus grand des crimes…

— Soit.

— Tu espères, non prouver toi, innocente, cela est impossible, mais apitoyer tes juges par l’aveu de ton forfait, par ton repentir, par les remords, et ainsi obtenir quelque adoucissement à la rigueur du juste châtiment dont tu es menacée… Le peuple, ameuté contre toi, force ta prison, improvise au hasard un tribunal chargé de décider sur l’heure de ton sort. On te traîne éperdue devant ces juges, et, le sabre levé, l’on te dit : Défends-toi.

— Eh bien !

— Si criminelle que tu sois, n’auras-tu pas le droit de t’élever contre l’iniquité d’un jugement dépourvu de toutes les caractères que la loi, que la justice, que l’humanité, accordent aux plus grands coupables, afin de consacrer ainsi la légitimité de leur condamnation ?

— Mon frère, — me répondit Victoria embarrassée, — cette question…

— Tu me répondras demain. Un mot encore : le peuple, dis-tu,