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— me suis-je écrié ; puis, renonçant, en ce moment surtout, à persuader Victoria de sa funeste erreur : — À quoi bon discuter ces questions tant de fois soulevées entre nous, sans ébranler nos convictions réciproques ?… Continue ton récit, ma sœur.

— Le tribunal élu par le peuple, et présidé par Maillard, s’assemble dans le greffe : l’on y entrait par un guichet communiquant à l’intérieur de la prison ; l’on en sortait par une porte s’ouvrant sur la cour ; là… les justiciers attendaient les condamnés pour les immoler. Maillard avait devant lui, sur la table, le registre d’écrou ; ce registre indiquait les accusations à la charge du prisonnier, le motif de son arrestation ; un guichetier, à l’appel du nom de chaque détenu, allait le quérir, on l’introduisait devant le tribunal, et… Mais, tiens, mon frère, afin de te donner une idée de la manière de procéder de ce tribunal, je te citerai un fait entre mille, dont j’ai été témoin. L’on amène un chevalier de Saint-Louis, ex-capitaine des chasseurs du régiment du roi. L’accusé, jadis seigneur de plusieurs paroisses, jouit encore d’une grande fortune ; il se nomme Journiac de Saint-Méard. Le voici donc en présence du tribunal : il décline ses nom, prénoms. — Êtes-vous royaliste ? — lui demande Maillard. — Et comme, à cette question, Saint-Méard se troublait, Maillard ajoute : — « Répondez sincèrement et sans crainte, nous sommes ici pour juger non les opinions, mais leurs résultats. »

— Maillard a dit cela ?

— Oui, tout ce que je te raconte, je l’ai vu, je l’ai entendu.

— Et ce tribunal s’est montré conséquent à cette doctrine : qu’il devait juger non les opinions, mais les actes ?

— Sans doute. Écoute encore le chevalier de Saint-Méard, homme ferme et loyal, répond : « — Je suis royaliste, je regrette l’ancien régime, je crois la France essentiellement monarchique ; mes regrets, je ne les ai pas cachés ; j’ai l’esprit naturellement moqueur ; j’ai publié dans quelques recueils, appartenant à mon opinion, plusieurs pièces de vers satiriques contre la révolution.