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hélas ! aucun moyen de les calmer. Où aller ? À qui m’adresser ? Que faire pour me renseigner sur le sort de celle pour qui je tremblais ? Mes angoisses atteignaient à leur comble, lorsque j’entends des pas précipités sur le palier de l’escalier ; je cours, à la porte ; elle s’ouvre. Victoria jette un cri de joie, s’élance dans mes bras ; me serre convulsivement sur sa poitrine, et fond en larmes… Elles m’émeuvent d’autant plus, qu’elles étaient rares chez elle. Je la voyais, pour la seconde fois, pleurer depuis quatre ans ! Enfin, à travers ses sanglots, elle murmure d’une voix étouffée, délirante de bonheur :

— Mon frère, mon pauvre frère ! je te retrouve ! ! Tu n’es pas mort ! Ah ! je ne t’aurais pas survécu ! Je sens en ce moment tout ce que tu es pour moi, je n’ai au monde que ton affection !

Ces touchantes preuves d’attachement, ma joie de revoir Victoria, pour la vie de qui je tremblais, effacent la dernière trace de mes ressentiments contre elle ; et, répondant à ses étreintes fraternelles, je me disais :

— Plaignons-la, ayons pour sa monomanie sanguinaire cette commisération douloureuse que vous inspirent les malheureux qui ne jouissent plus de la plénitude de leur raison.

L’émotion de Victoria se calme, et elle m’apprend ainsi la cause de ses alarmes :

— Tout à l’heure, en revenant ici, j’ai rencontré, à dix pas de notre maison, notre voisin Dubreuil ; je l’ai reconnu à la clarté du réverbère. Il s’est arrêté à mon aspect, m’a regardée pendant un instant avec l’expression d’une surprise poignante, puis il m’a dit : « — Est-ce que vous allez retrouver Jean ? — Sans doute, lui ai-je répondu. — Grand Dieu ! s’est écrié Dubreuil, vous ignorez donc ? — Quoi ? ai-je repris, frappée de sa pâleur et de son embarras. — Tantôt, m’a-t-il répondu, le pauvre Jean a harangué la foule ; il a parlé contre le massacre des prisons… on l’a pris pour un traître, et la foule, dans sa fureur… — Mais notre voisin s’interrompt, cache son visage entre ses mains et s’éloigne précipitam-