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lantes matrones gauloises des temps antiques ; sa jeune fille, d’une beauté fière et douce, était debout, à ses côtés, ainsi que sa bru, dans un état de grossesse avancée. Les dernières paroles qu’elles adressèrent à leur mari, à leur père, à leurs frères, furent simples, dignes, contenues ; l’on sentait qu’elles n’étaient pas venues là pour paraître et faire montre de leurs sentiments.

— Adieu, mon ami, adieu, mes enfants ; allez et faites bien votre devoir ! — dit d’une voix grave la grand’mère à cheveux blancs. Cependant, cédant, malgré sa fermeté, à la prédilection des vieillards pour l’enfance, elle attire à elle son petit-fils adolescent, le baise au front, en ajoutant d’une voix légèrement attendrie :

— Ce baiser de ton aïeule te portera bonheur, mon enfant. Ne nous oublie pas ; mais, avant tout, pense à la patrie, notre mère à tous, adieu !…

— Au revoir, ma femme ; au revoir, ma fille et ma bru ; nous partons tranquilles sur notre sort ; les prisons sont purgées, — répondit le vieillard d’une voix calme et forte. — Nous n’avons plus à combattre que les Prussiens aux frontières, adieu et au revoir !

Lui aussi, ce vieillard héroïque, faisait allusion au massacre des prisons qui, à l’heure même, s’accomplissait. Et, après un dernier regard jeté sur sa femme, Matthieu Bernard s’éloigne, suivi de ses cinq fils, de son petit-fils, et tous entonnent la Marseillaise, aux acclamations populaires, mêlées au bruit du tocsin et du canon d’alarme.

Presque aussitôt après le départ de la famille Bernard, j’ai vu entrer timidement dans la tente des enrôlements une jeune fille et sa mère. Celle-ci s’adressant à l’un des municipaux :

— Citoyen, je suis veuve et n’ai pas de fils ; si j’en avais un, il serait aux frontières ; nous vivons, ma fille et moi, du produit d’une petite boutique de mercerie de la rue Saint-Martinv ; nous voudrions contribuer, pour notre pauvre part, au salut de la patrie : elle a besoin de ressources pour faire face à la guerre, voilà trois louis et une vieille timbale d’argent qui me vient de ma mère.