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d’Europe se seraient ligués contre leur frère de France, devenu à leurs yeux un dangereux révolutionnaire. La république était donc la seule solution possible, parce qu’elle posait nettement la question entre les peuples et les rois. C’est ce que ne comprit pas, ou ne voulut pas comprendre la bourgeoisie de l’Assemblée nationale, dans la défiance et la crainte que lui inspirait le gouvernement populaire. Justement fière de ses gigantesques travaux, et pleine d’une généreuse mais aveugle confiance dans le serment d’un roi dépossédé de toute initiative, de tout pouvoir de fait, et privé désormais de l’appui de la noblesse et de l’Église, dépossédées comme lui de leurs privilèges, l’Assemblée nationale crut la révolution accomplie tandis que, pour le peuple, elle n’était, au contraire, qu’à son début… Elle affirmait et consacrait l’égalité civile et politique. C’était bien. Mais le peuple, travailleur par condition, espérait, voulait l’égalité devant l’instrument de travail, à savoir devant le capital, presque uniquement aux mains de la bourgeoisie ; le peuple, en un mot, attendait de la révolution des institutions de crédit démocratique qui l’eussent affranchi matériellement, de même qu’il l’était déjà moralement par l’égalité civile et politique. Enfin, le peuple sentait la révolution menacée de toute part, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur ; son instinct, guidé par les révélations de la presse patriote, ne le trompait pas ; l’Europe monarchique, secrètement d’accord avec Louis XVI, resserrait chaque jour le réseau de la coalition qui enserrait les frontières de la France ; ces despotes étrangers, en se liguant ainsi, obéissaient à la fois à l’épouvante, à l’horreur que leur causait la France révolutionnaire et à leur intérêt particulier. L’Autriche espérait s’agrandir ; l’Angleterre, se venger de l’appui prêté par la France à l’émancipation américaine ; la Prusse, raffermir son absolutisme ébranlé ; la Confédération germanique, reconquérir, pour ses princes d’Alsace, les possessions féodales dont la révolution les avait dépouillés ; le roi de Suède, chevalier du despotisme, le voulait rétablir en France, ainsi qu’il venait de l’imposer à son peuple ; la Russie