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épaules ; il tient son fusil d’une main et de l’autre essuie ses larmes.

« le président, au fédéré breton. — Calmez-vous… et si vous le pouvez, donnez-nous quelques détails sur les faits dont vous avez été témoin.

» le fédéré breton. — Nous étions dans la cour des Tuileries, mon frère et moi ; j’étais armé d’une pique, lui d’un fusil ; nous voyons les Suisses nous faire des signes d’amitié en jetant leurs cartouches par la fenêtre. Nous entrons sous le vestibule des Tuileries avec un grand nombre de sectionnaires, nous espérions engager les Suisses à fraterniser ; ils se tenaient l’arme au bras, rangés en lignes sur chaque marche du grand escalier, c’était comme une montagne d’hommes. S’ils avaient tiré sur nous de haut en bas, comme ils le pouvaient, quand nous avons envahi le vestibule, ça aurait été une boucherie… elle a eu lieu plus tard… Mais dans le premier moment nous avons dit aux Suisses : — Le roi a quitté le château, à quoi bon nous battre… ne sommes-nous pas frères ?… — Nous ne rendrons jamais les armes ! répond un vieux sergent. — Nous ne voulons pas vous désarmer, mes braves ! leur disons-nous, et une foule de voix s’écrient : — Nous venons fraterniser avec vous… Vive la nation ! vivent les Suisses ! — Et nous leur tendons les mains… Ils crient à leur tour : — Vive la nation ! — Ceux du premier rang, au bas de l’escalier, déposent leurs armes le long du mur et viennent à nous amicalement ; nous nous embrassons aux cris de Vive la nation !… Mon pauvre frère avait encore la bouche sur la joue de l’un des Suisses, lorsque deux coups de fusil partent du haut des premières marches de l’escalier où se tenaient les soldats en bataille. Mon frère et le Suisse qu’il embrassait sont tués de la même balle. (Profonde sensation. Le fédéré breton très-ému s’interrompt un instant et reprend.) — Je te laisse mon fusil… tu trouveras des cartouches dans mes poches… — Telles ont été les dernières paroles de mon frère… J’ai pris son fusil… j’ai vengé sa mort…