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tutionnels, dont le serment de Louis XVI consacrait le règne. Ils exaltent la générosité de Louis XVI, l’acclament le restaurateur des libertés françaises, et votent une fête, un Te Deum, afin de célébrer ce beau jour ; mais la presse révolutionnaire, pénétrant le fond de l’enthousiasme de la nouvelle oligarchie, fait entendre sa voix sévère et prophétique :

« — Pourquoi une fête ? — demande Loustalot dans son journal. — Le roi a rempli un devoir ; il n’est pas flatteur pour lui de remercier les cieux de ce qu’il a rendu hommage à la loi, et il est peu consolant pour le peuple de voir attacher tant d’importance à l’accomplissement d’un devoir. Si l’on eût chanté un hymne à Jupiter à chaque belle action de Titus, qui regardait comme perdu le jour où il n’en avait pas fait une, le préfet de Rome eût bientôt épuisé le trésor public ! »

Camille Desmoulins écrivait en même temps, répondant à Cazalès, l’un des chefs les plus remuants du parti royaliste, et qui osait demander pour le roi une dictature de trois mois, afin de rétablir l’ordre dans son royaume.

« — … Peut-on trouver mauvais que je sois de ces Romains qui gémissent quand Antoine, aux Lupercales, impose le diadème à César ? Je fais sur la royauté la même profession de foi républicaine que le docteur Richard Price, et nous nous donnons la main par-dessus les mers qui nous séparent. Je nie que le roi ait le droit de nommer même des fonctionnaires subalternes ! Je ne connais qu’Adam dont une côte ait fait (ce dit-on) une autre créature procédant de lui-même, et encore ce n’était point lui (ce dit-on) qui s’était tiré cette côte-là. Il dormait quand se fit ce prodigieux miracle ! ! Le peuple est le potier ; le roi n’est que le premier vase. Est-ce qu’un vase peut en faire un autre ? »

Ce divin instinct du salut public, qui, lors des grandes commotions, guide, éclaire le peuple, l’avertissait des trames incessamment ourdies par la royauté vaincue en apparence, mais non soumise.