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secret complice. Les girondins en étaient donc réduits à le laisser suprême arbitre des destinées de cette guerre ou à le déposséder du pouvoir exécutif. Ils ne pouvaient sortir de cette impasse que révolutionnairement, et ils n’avaient ni le désir, ni l’énergie d’agir ainsi ; Robespierre le sentait. Aussi, ne croyant pas encore mûr le mouvement révolutionnaire, il s’opposait de toute sa force à la guerre, afin de gagner du temps, afin de pouvoir éclairer l’opinion publique sur le danger des premiers entraînements, afin de la convaincre qu’entreprendre la guerre dans les circonstances actuelles, c’était ouvrir presque assurément la France à l’étranger ! ! Malheureusement la voix de Robespierre fut méconnue. Cependant les girondins, trop patriotes pour ne pas pressentir le péril et la trahison dont la révolution et la France étaient menacées, essayèrent de conjurer ce péril en imposant à Louis XVI trois ministres de leur choix et qu’ils savaient ou croyaient dignes de leur confiance : le général Dumouriez fut chargé des affaires étrangères, Servan du département de la guerre, et Roland du ministère de l’intérieur.

Dumouriez, grand homme de guerre, plein de ressources, d’audace et de feu, politique délié, subtil, mais déjà vieilli dans les intrigues souterraines de la diplomatie occulte ; ambitieux, sceptique, de mœurs déréglées, cupide jusqu’à l’exaction, intraitable dans son orgueil, sans vertus, sans principes, capable, ainsi qu’il le fit, de servir vaillamment la révolution et la république ou de les trahir indignement, selon les nécessités de son intérêt du moment.

Servan, officier du génie, militaire intègre, laborieux, modeste, esprit droit et pratique, et sincèrement dévoué à la révolution.

Roland, l’un des plus purs, des plus beaux caractères de ce temps-ci ; simple, stoïque, austère, désintéressé, d’une probité scrupuleuse, d’une fermeté de volonté égale à la rigidité de ses convictions républicaines partagées par sa jeune et charmante femme, l’âme du parti girondin où elle régnait, grâce à l’élévation de son esprit, aux rares qualités de son cœur et à l’attrait de sa personne.