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tyrannie, et meurs, s’il le faut, pour la liberté ! ! — Mieux vaut mourir que vivre esclave ! — disait une autre femme.

Vaillantes créatures ! elles se sentaient instinctivement filles de ces viriles Gauloises des temps héroïques, mâles éducatrices qui siégeaient aux conseils de la tribu républicaine et, le jour de l’action, combattaient intrépidement pour l’indépendance des Gaules, en maniant rudement la pique et l’épée, qui ne pesaient pas plus que la quenouille à leurs bras blancs et forts, comme disait César, qui les avait vues à l’œuvre, nos vaillantes mères, filles de Joël !…

Vers les huit heures et demie du matin environ, j’arrivais au Gros-Caillou, non loin de l’une des portes de l’esplanade du champ de Mars, lorsqu’au moment de tourner l’angle de la petite place Saint-Pierre, j’entends des clameurs lointaines, et presque aussitôt la foule qui me précédait revient sur ses pas et reflue brusquement sur cette place, en manifestant son effroi, son horreur ; presque en même temps je reconnais de loin, à sa gigantesque stature, Lehiron, marchant le premier d’une bande d’hommes à figures patibulaires, devant qui se repliait la foule effrayée. Lehiron, miraculeusement échappé aux suites du coup de pistolet à lui tiré par Frantz de Gerolstein, portait au bout d’une pique, ainsi qu’un autre égorgeur de sa troupe, une tête livide. Ces deux têtes étaient si fraîchement coupées que le sang des veines ruisselait encore et rougissait la veste blanchâtre de Lehiron et la chemise trouée de son ignoble acolyte aux bras nus.

— À mort les aristocrates ! — hurlait Lehiron, et après lui sa bande. — Les ennemis du peuple à la lanterne ! ! — Ils voulaient faire sauter l’autel de la Patrie !

Quelques mégères, soûles et déguenillées, s’étaient jointes aux assassins et répétaient leurs cris de mort ; parmi elles je reconnus, malgré son déguisement, l’abbé Morlet, accompagné du petit Rodin, vêtu en fille… La frêle et moyenne taille du jésuite, sa figure presque imberbe, se prêtaient à son travestissement ; et, coiffé d’une sale