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Puissions-nous n’avoir pas besoin d’envoyer à notre cousin Lévy… la note que tu me dictes, dans l’appréhension d’être jeté en prison… Puisses-tu ne jamais regretter d’avoir…

— … D’avoir offert le local souterrain du jardin… aux Voyants, — ajoute Samuel, achevant ainsi la pensée de sa femme. — Est-ce là ta crainte ?…

— Hélas !… oui.

— Chère femme… réponds-moi de grâce, que sommes-nous à cette heure aux yeux des chrétiens, nous autres israélites ?… Bien que notre condition, surtout en France, soit depuis un siècle moins horrible qu’elle ne l’était autrefois… dis… ne sommes-nous pas encore une caste de parias… dédaignés, repoussés dans notre isolement séculaire ?

— Il n’est que trop vrai… cette iniquité existe envers nous, existera toujours !…

— Non, Bethsabée… non… si les Voyants triomphent, l’avenir sera pour nous aussi paisible, aussi heureux, que le passé, que le présent auront été sombres et tourmentés… Un jour, nous ferons partie de la communion de la grande famille humaine !…

— Ah ! Samuel… le verrons-nous jamais ce beau jour !…

— C’est mon plus ferme espoir… Oui, cette émancipation universelle… ce règne de la fraternité inaugurera le règne des idées dont les Voyants sont les propagateurs infatigables… En m’affiliant à ceux de Paris, en leur offrant le local souterrain dont je pouvais disposer pour leurs mystérieuses réunions, je servais donc notre cause personnelle, et, plus encore, celle de tous les déshérités, de tous les opprimés de ce monde.

— Je n’ai jamais douté de la générosité de ton cœur, Samuel… mais cette sainte cause à laquelle tu t’es voué âme et corps… pour laquelle tu subiras peut-être de cruelles épreuves… qui sait si elle sera jamais victorieuse ?

— Tout annonce au contraire son prochain triomphe.