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dans la lutte si elle poussait l’insanité jusqu’à vouloir s’opposer à la marche irrésistible des esprits. Louis XVI lui même, quand les fumées de l’orgueil royal n’obscurcissaient pas son bon sens naturel, sentait la nécessité des mesures radicales proposées par Malesherbes et par Turgot. Oui ! ce prince omnipotent n’avait qu’à vouloir le bien pour qu’il s’accomplît, pour mériter l’amour, la reconnaissance du pays, pour retarder la chute de la royauté par des concessions indispensables, mais point ! Un roi est toujours roi ; il est habitué par tradition de race à considérer le clergé, la noblesse comme le lustre, comme le soutien de son trône ; aussi, cédant aux clameurs furieuses des prêtres et des courtisans alarmés, courroucés des projets qui portaient atteinte à leurs privilèges, Louis XVI fut assez faible, assez lâche, assez coupable, et surtout assez borné pour sacrifier aux ressentiments de la cour Malesherbes et Turgot, disant piteusement en signant le retrait de leurs fonctions : — « C’est dommage, Turgot et moi, nous sommes les seuls qui voulions vraiment le bonheur du peuple. » — Ces mots inqualifiables dans la bouche d’un roi maître de choisir ses ministres, cet acte impardonnable, en cela que ce prince avait pleinement conscience de la faute immense qu’il commettait, suffisent à peindre l’homme, et donnent la clef de ces perpétuelles contradictions, de ces détestables faiblesses qui, de faute en faute, de fourberie en fourberie, de crime en crime, l’ont conduit fatalement aux grands attentats qu’il a dû expier par sa mort…

Turgot a pour successeur, en 1776, Clugny, ancien intendant de Saint-Domingue ; mais il est bientôt remplacé par Necker, banquier genevois, profondément versé dans la science financière, esprit droit, intègre, pratique, ennemi des abus (dans une certaine mesure), mais très-au-dessous de Turgot quant à l’étendue et à l’élévation de ses vues. Ses intentions étaient d’ailleurs excellentes. Il désirait équilibrer les recettes et les dépenses de l’État, soumettre absolument le décret des impôts à la sanction des assemblées provinciales, initier le pays à l’emploi des deniers publics,