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dre sa popularité, où il voit la sauvegarde de ses biens et peut-être de sa vie. Aussi s’efforcera-t-il toujours de dépasser les hommes de l’opinion la plus avancée, de peur d’être soupçonné de modérantisme. M. Hubert, au contraire a plus que jamais le courage de ses convictions constitutionnelles. Il appartient au club du Palais Royal, et se montre l’un des plus forcenés bleuets, ainsi qu’on appelle les séides de La Fayette. Le financier commande toujours le bataillon dit des Filles Saint-Thomas, l’un des plus résolument hostiles à la révolution. Frantz de Gerolstein a été subitement rappelé près de son père tombé gravement malade et qu’il aime et vénère malgré leurs discords politiques. Nos reliques de famille sont toujours déposées dans le lieu sûr et secret où Frantz les avait placées avant son départ ; les événements publics auxquels j’ai toujours plus ou moins pris part, la nécessité de mes travaux manuels dont le salaire suffit à mes besoins, m’ont empêché jusqu’ici de songer à faire imprimer notre légende… À quoi bon d’ailleurs ? La marche de la révolution est tellement irrésistible et précipitée, que notre publication historique n’ajouterait rien à l’impétuosité du mouvement.

Ma sœur Victoria partage ma demeure et vit du produit de son métier de couturière ; elle y consacre souvent une partie de ses nuits afin de pouvoir fréquenter les clubs où les femmes et les jeunes filles du peuple sont admises. Nous avons promis à Frantz de Gerolstein de recourir à son aide dans un cas d’urgence. Je vois avec inquiétude et douleur le caractère de Victoria s’assombrir davantage ; sa ferveur révolutionnaire dégénère parfois en exaltation féroce : évoquant les ombres séculaires de milliers et de milliers de martyrs de la royauté, de l’Église et de la féodalité, Victoria aspire à l’heure des inexorables représailles ! Elle applaudit avec un farouche enthousiasme aux sanglantes élucubrations du journal l’Ami du Peuple, publié par Marat, ce fanatique de la dictature, ce monomane de l’extermination en masse, homme étrange effrayant, inexplicable ;