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plus foi dans les principes égalitaires du représentant du peuple !

— D’où il suit que vous me considérez comme un faux frère, — reprend l’avocat avec amertume ; — sans doute vous allez vous empresser de me dénoncer à la vindicte populaire ?…

— Non, citoyen Desmarais, seuls, vos actes, vos votes à l’Assemblée pourront être vos dénonciateurs… Quant à ce qui m’est personnel, je vous donne ma parole d’honnête homme, de taire la cruelle déception dont je suis aujourd’hui victime… Enfin, quelles que soient vos secrètes convictions, continuez de servir utilement, vaillamment la révolution, et je vous serai sincèrement reconnaissant de vos actes au nom de notre cause… Jamais je ne porterai la moindre atteinte à votre popularité… Je glorifierai votre talent ; mais, dans le for de ma conscience, excusez ma franchise, il me sera impossible d’estimer votre caractère… Il me sera prouvé qu’afin de conserver les avantages de votre popularité, vous défendez la révolution… ainsi qu’un avocat, moyennant salaire, défend éloquemment, avec tous les dehors d’une chaleureuse conviction, une cause qu’il sait ou qu’il croit mauvaise, et que souvent il gagne…

Jean Lebrenn venait de prononcer ces dernières paroles, lorsque la porte du salon s’ouvre brusquement, et Charlotte, pâle, les yeux rougis par des larmes récentes, entre précipitamment suivie de sa mère, qui lui disait d’une voix suppliante :

— Ma fille, ma fille, je t’en conjure… écoute-moi.

L’altération des traits de Charlotte, leur expression douloureuse a frappé Jean Lebrenn de la plus vive, de la plus pénible émotion. L’avocat Desmarais et son beau-frère semblent aussi surpris que chagrins de la présence inattendue de la jeune fille. Celle-ci, après un moment de recueillement, s’adresse ainsi d’une voix ferme à M. Desmarais :

— Je viens d’apprendre par ma mère que M. Jean Lebrenn était venu me demander en mariage… Votre intention formelle, mon père, est, m’a-t-on dit, de répondre à cette demande par un refus ?…