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— ajoute Jean Lebrenn d’une voix pénétrée, répondant à un geste de M. Hubert, frappé cependant malgré lui de la sagesse, de la modération des paroles de l’artisan. — Tenez, citoyen Hubert, je m’adresse à votre loyauté… quels sont les députés envoyés par nous, gens du peuple, aux États généraux ? Voyons, où avons-nous choisi nos représentants ? N’est-ce pas dans la bourgeoisie ? Avons-nous eu la prétention de choisir seulement l’un des nôtres pour représenter nos espérances, nos vœux, nos intérêts les plus chers, les plus légitimes ? Non… non… Vous ne voyez pas un seul artisan figurer parmi les représentants du peuple à l’Assemblée nationale…

— Cette admirable, cette sublime preuve de confiance du peuple envers nous, mon cher Jean, ne sera jamais trompée… Je vous jure que…

— Pardon, c’est au citoyen Hubert que je m’adresse… — dit Jean, interrompant l’avocat, tandis que le financier, cachant l’embarras que lui cause la question de l’artisan, lui répond en raillant :

— Parbleu !… un homme du peuple aurait fait une belle figure à l’Assemblée nationale !

— Il est vrai… et c’est ce que nous nous sommes dit, citoyen Hubert, — répond Jean Lebrenn avec une simplicité touchante. — Oui, nous nous sommes dit : Nous ne possédons ni la capacité ni l’éloquence… choisissons donc nos représentants parmi ceux là que le hasard a mieux doués que nous… Mais ceux-là, sortis des entrailles du peuple, doivent l’aimer, doivent prendre à tâche, à glorieuse tâche, d’être nos tuteurs naturels, d’éclairer notre inexpérience… de guider fraternellement nos premiers pas vers la liberté…

— Mais c’est notre devoir, mon cher Jean ! — s’écrie l’avocat. — Ce devoir, nous l’avons accompli… nos l’accomplirons toujours avec bonheur !

— Répondez, citoyen Hubert, ajoute l’artisan, continuant d’affecter de ne s’adresser qu’au financier. — Cette modestie du peuple… cette noble confiance envers la bourgeoisie, notre sœur aînée