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sions dont je suis torturé… Je vous en adjure, au nom de l’affection que vous m’avez jusqu’ici témoignée, expliquez-vous clairement ! Cette cause de notre commun malheur, quelle est-elle ? Vous venez d’en appeler à mon courage, j’aurai du courage… Mais, par pitié, que je sache du moins quel est ce coup dont je suis, dont nous sommes menacés ?

— Vous avez raison, mon cher Jean ; excusez ma faiblesse, nous sommes des gens de cœur… Sachons donc envisager, en gens de cœur, la réalité, si pénible qu’elle soit…

— Enfin, cette réalité, monsieur, quelle est-elle… quelle est-elle ?…

— Jean… mon cher Jean… — répond M. Desmarais, prenant dans ses mains les mains du jeune homme et le contemplant avec une expression de tendresse paternelle, — vous, mon ami, de qui j’enviais le père… vous, vous qu’il m’eût été si doux, pour mille raisons, et sans même parler de notre fraternité politique, vous qu’il m’eût été si doux de nommer mon fils…

— Mon Dieu !… qu’entends-je ?…

— … Vous qui eussiez, je le sais… oh ! je le sens là… — ajoute l’avocat portant vivement sa main à son cœur. — Oui, vous, qui… je le sens là… eussiez à jamais assuré le bonheur de mon unique enfant… plaignez-la… plaignez-moi… malheur à nous tous… ce mariage… ce mariage… — Et M. Desmarais semblant faire sur lui-même un violent effort : — Ce mariage… est impossible ! ! !

Puis voyant, à ces mots, le jeune artisan devenir d’une pâleur mortelle et chanceler, l’avocat le soutient et lui dit d’une voix remplie de commisération et de tendresse :

— Jean, mon ami… vous, sur le courage de qui je comptais pour nous aider à supporter le coup dont nous sommes atteints… vous faiblissez… faut-il donc que je vous donne l’exemple d’une ferme résignation ! moi… moi… le plus à plaindre de nous deux !

Jean Lebrenn se domine, reprend ses esprits, se recueille et d’une voix qu’il essaye de raffermir :