Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit au prince de Gerolstein surpris des paroles qu’elle vient de prononcer : — Vous allez savoir, Frantz, quelle démarche mon frère Jean va tenter.


M. Desmarais, encore sous la terrible impression des cris de mort poussés par l’ignoble bande de Lehiron, gens sans aveu ou scélérats que l’avocat confondait avec les généreux vainqueurs de la Bastille, ne pouvant ainsi s’expliquer la cause de l’apparent et brusque revirement des sentiments du peuple à son égard ; M. Desmarais, pâle, soucieux, s’entretenait confidemment avec sa femme et le frère de celle-ci, M. Hubert, le riche banquier. Ce personnage devait sa fortune à d’heureuses spéculations ; honnête homme, commercialement parlant, il remplissait scrupuleusement ses engagements et ne prêtait ses fonds qu’au taux prescrit par la loi ; d’ailleurs son cœur était sec, son esprit jaloux, ombrageux. Homme intrépide et d’opinions inflexibles, il nourrissait une égale aversion contre le clergé, la noblesse et les prolétaires. Il regardait le tiers état comme appelé à régner sous l’autorité fictive d’un roi constitutionnel, à l’instar de la royauté anglaise ; l’intervention du peuple dans les affaires publiques lui semblait le comble de l’absurdité. Il pensait, en un mot, hardiment et tout haut ce que M. Desmarais pensait tout bas, sans avoir le courage de prononcer son opinion, de crainte de perdre sa popularité. M. Hubert habitait le quartier Saint-Thomas du Louvre, riche quartier plus ou moins hostile à la révolution, et affectionné dans une certaine mesure à la royauté. Jouissant d’une extrême notabilité dans son quartier, le banquier venait d’être récemment nommé chef du bataillon dit des Filles de Saint-Thomas du Louvre, presque entièrement composé (surtout la compagnie de grenadiers) de royalistes purs ou d’ennemis déclarés du gouvernement populaire. M. Hubert portait l’uniforme et les insignes de son grade ; quoique âgé de cinquante ans environ, frêle et de moyenne stature, l’on devi-