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Voyants, bientôt elle se développa rapidement ; mon père, dans son courroux, m’a banni de ses États… Je ne conserve contre lui nul ressentiment, je plains son aveuglement et celui des autres principicules de la confédération germanique ; car depuis longtemps éclairé par le protestantisme, et de nos jours profondément travaillé, remué par les idées nouvelles, le peuple allemand, d’un coup de sa forte épaule, jettera bas tôt ou tard ses prétendus maîtres par la grâce de Dieu ; mon pauvre père devra subir les conséquences d’une révolution terrible au lieu de l’avoir prévenue par un acte d’intelligent et bon citoyen… Telle est en deux mots, mes chers parents, mon histoire.

— Elle confirme l’estime profonde que déjà vous m’inspiriez, monsieur de Gerolstein, — reprit le vieillard. — Vous parliez tout à l’heure des consolations qui me feraient oublier les malheurs de ma captivité ?… ah ! je vous aurai dû la plus douce de ces consolations…

— Ces bienveillantes paroles me sont doublement précieuses, monsieur Lebrenn, elles doivent resserrer nos liens de parenté… C’est au nom de ces liens que je vais franchement vous exposer l’un des motifs de ma visite en un mot : l’offre cordiale, fraternelle de mes services… — Et répondant à un mouvement de dignité du vieil aveugle, Frantz ajoute avec expansion : — C’est un parent, c’est un ami qui vous parle, monsieur Lebrenn ; donc, je vous en supplie, ne cédez pas à une susceptibilité honorable, mais peut-être exagérée. Voici les faits : Vous étiez imprimeur ; votre travail a pendant longtemps pourvu aux besoins de votre famille… mais vous avez perdu la vue en prison… vous êtes devenu perclus… madame Lebrenn est valétudinaire… quelles vont être vos ressources ?

— Ma santé, grâce à Dieu, n’est pas à ce point affaiblie que je ne puisse plus travailler, — reprend vivement madame Lebrenn, — la présence de mon mari doublera mes forces…

— Et moi donc, ma mère ; est-ce que jusqu’ici je suis resté oisif ?… Rassurez-vous, Frantz… mon père et ma mère ne manque-