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mains tremblantes ; des pleurs coulent des yeux du vieillard aveugle et inondent bientôt ses traits flétris par les longues souffrances de sa captivité. Jean Lebrenn lève vers le plafond ses poings crispés. Seule, Victoria demeure impassible, sa rougeur disparaît, un sourire amer contracte ses lèvres ; et elle reprend :

— Mon père… dans son pieux respect pour notre famille, se bornait en son écrit à stigmatiser avec une généreuse horreur le crime dont j’avais été victime à l’âge de onze ans… et jetait un voile sur les conséquences fatales de ce précoce déshonneur… sur la vie honteuse que j’avais ensuite…

— Ma fille… oh ! assez… assez ! ! — murmure madame Lebrenn, suffoquée par les sanglots ; — ne rappelle pas ces temps maudits ! !

— Soit, ma mère… Mais, dis-moi, Jean… dans tes confidences à M. Desmarais… ce voile qui couvrait l’infamie de ma vie… tu l’as levé ?

— Moi… grand Dieu ! !

— Ainsi… M. Desmarais ignore…

— Ma sœur, — reprend Jean Lebrenn, dominant sa cruelle émotion, — obéissant au sentiment de respect familial auquel avait obéi mon père, j’ai dû cacher à M. Desmarais les fatales conséquences de la violence de Louis XV… J’ai dit à M. Desmarais qu’ensuite de la publication de l’écrit de notre père, tu nous avais été enlevée soudain, ainsi que lui… après ton retour momentané dans notre logis. Nous supposions, ai-je ajouté, que la cour, voulant faire disparaître en toi l’une des preuves vivantes de la monstrueuse corruption de Louis XV… l’on t’avait probablement embarquée secrètement pour l’Amérique, où l’on déporte tant de malheureuses créatures !…

— Tu as agi avec sagesse et prudence, cher frère… Conserve toujours à mon sujet le même secret envers M. Desmarais… Tu vas lui demander la main de sa fille… Je hais plus que personne l’iniquité de certains préjugés ; mais il ne faut pas confondre avec ces préjugés la répugnance d’un homme de bien à donner sa fille au