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injustes reprochés, Jean Lebrenn s’était rendu auprès de sa mère, afin de la préparer à sa prochaine entrevue avec son mari et sa fille, qu’elle croyait à jamais ravis à sa tendresse. Madame Lebrenn occupait deux modestes chambres situées au quatrième étage d’une vieille maison de la rue Saint-Honoré ; dans la plus grande des deux pièces, se voyaient deux lits ; l’un, hélas ! depuis bien longtemps vacant, était celui de Ronan Lebrenn ; une petite bibliothèque contenant les livres imprimés par lui, un établi portatif où Jean, lors des cas d’urgence, parachevait à la veillée quelques œuvres de fine serrurerie ; des ustensiles, des meubles de ménage reluisant de propreté ; enfin une sorte de buffet de bois de noyer contenant les reliques et les légendes de la famille. Tel était le modeste mobilier de cette demeure.

Madame Lebrenn est âgée d’environ soixante ans ; ses chagrins domestiques, plus encore que les années, ont affaibli, ruiné sa santé ; sa figure, vénérable et douce, d’une pâleur et d’une maigreur extrêmes, est en ce moment baignée de larmes de joie, elle tient embrassé son fils agenouillé devant elle, et lui dit d’une voix émue :

— Enfin, cher enfant, je te revois… je suis rassurée, ta blessure est légère… Ah ! si tu savais mes angoisses pendant que j’entendais tirer le canon de la Bastille… Mes craintes se sont un peu calmées lorsque j’ai reçu le billet où tu m’apprenais votre victoire et le peu de gravité de ta blessure… Mais que veux-tu… malgré moi, je pensais que par tendresse, tu m’abusais peut-être ! que tu étais gravement blessé ! que la bataille n’était pas finie… Enfin, je m’effrayais de toutes les chimères dont est assaillie malgré elle une pauvre veuve… lorsqu’elle tremble pour la vie de l’unique enfant qui lui reste !

— Allons, ma bonne mère… tu as encore l’esprit troublé par suite de tes angoisses de la matinée.

— Que veux-tu dire… Jean ?

— Est-ce que tu es veuve ? Est-ce que je suis ton unique enfant ?