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calomnier l’homme de cœur et d’honneur à qui je m’enorgueillis d’avoir…

— Malheureuse enfant ! — s’écrie madame Desmarais interrompant virement sa fille, — par pitié pour vous… taisez-vous… oh ! taisez-vous.

— Pourquoi n’avouerais-je pas à mon père… ce que je vous ai avoué à vous, ma mère ?

Et, s’adressant à l’avocat, la jeune fille ajoute d’une voix ferme :

— Apprenez donc, mon père, la vérité… Depuis deux mois, j’ai engagé ma foi à M. Jean Lebrenn ; je lui ai juré de ne jamais avoir d’autre époux que lui… J’affirme ici devant vous, mon père, devant vous, ma mère… que je serai fidèle à ma promesse.

— Grand Dieu… Qu’entends-je ?… — murmure l’avocat frappé de stupeur, — ce misérable ouvrier a osé lever les yeux sur ma fille. Il l’a subornée !

— Vous êtes dans l’erreur, mon père… votre fille n’est pas de celles-là que l’on suborne… — répond fièrement Charlotte. — Ce misérable ouvrier en présence de qui vous vous êtes cent fois élevé contre les priviléges de la naissance, contre les odieuses distinctions qui séparent les diverses classes de la société… ce misérable ouvrier que vous traitiez en ami, en égal, lorsque son appui vous était nécessaire… ce misérable ouvrier a cru, ainsi que moi, à la sincérité de vos opinions, mon père ; il a vu en moi son égale… et son amour a été aussi pur, aussi respectueux que profond… et dévoué…

— Vous êtes une effrontée ! — s’écrie l’avocat pâle et emporté par une douloureuse indignation. — Sortez de ma présence, vous déshonorez mon nom ! !

— Je crois au contraire honorer votre nom, mon père, en pratiquant ces généreux principes d’égalité, de fraternité, que tant de fois je vous ai entendu professer…

— Taisez-vous ! taisez-vous ! fille désordonnée qui ne rougissez pas de donner votre foi à un garçon serrurier ! ! Ah ! que n’ai-je