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— Il en doit être ainsi… car il est insensé à elle de se permettre de me contredire… au sujet d’actes et d’opinions politiques auxquels elle est étrangère…

— Mon père, malgré ma complète ignorance de la politique, mon instinct me dit qu’en attaquant la Bastille, le peuple a sans doute voulu détruire le repaire où gémissaient tant d’innocentes victimes… et qui sait si, parmi elles, M. Lebrenn n’a pas retrouvé, au fond de quelque cachot, bon père disparu depuis plusieurs années…

— Et quand même le hasard aurait amené cette découverte ? — s’écrie l’avocat Desmarais de plus en plus surpris et commençant à grandement s’irriter de la persistance de sa fille à défendre Jean Lebrenn, — ce hasard absoudrait-il les sanglants excès dont la prise de la Bastille a été le signal ? Est-ce que leur responsabilité ne doit pas retomber sur ceux-là qui ont pris part à cette attaque ? sur ce Lebrenn entre autres, évidemment l’un des chefs de l’entreprise… puisqu’il jouit d’une funeste influence sur les gens de sa classe en ce quartier…

— Vous pensiez mieux de cette influence, mon père, lorsqu’elle concourait au succès de votre élection. Le souvenir des services reçus vous pèse-t-il à ce point… que vous cherchiez le prétexte de vous dégager de toute gratitude…

— Mademoiselle !… — reprend avec une sévérité croissante l’avocat après un instant de réflexion, — savez-vous que votre audacieuse persévérance à défendre cet homme pourrait me donner d’étranges soupçons…

— Ah ! Charlotte… que vous avais-je dit ? imprudente enfant ! — reprend madame Desmarais alarmée ; puis, s’adressant à son mari : — Mon ami, je te le répète, il ne faut pas attacher d’importance à quelques paroles échappées à notre fille en un moment de folle exaltation…

— Vous vous trompez, ma mère… j’ai parfaitement conscience de mes paroles… Je ne puis souffrir, je ne souffrirai pas d’entendre