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avec inquiétude où il allait… « Je ne suis qu’un artisan indigne, sans doute, de tirer l’épée contre un grand seigneur… » — vous a répondu M. Jean Lebrenn ; — « mais j’ai des bras robustes ; je vais prendre un bâton, et, j’en jure Dieu… je traiterai le comte de Plouernel comme il vous a traité… » — Il fallut, mon père, j’en appelle à votre mémoire, il fallut vos supplications, celles de ma mère, les miennes, pour arracher à M. Lebrenn sa parole d’honneur qu’il n’entreprendrait rien contre M. le comte de Plouernel… Cette promesse reçue, vous avez serré M. Jean dans vos bras, lui disant d’une voix émue… il me semble vous entendre encore : — « Ah ! mon ami… vous seriez mon fils, que vous ne ressentiriez pas plus généreusement l’outrage que j’ai reçu… Cette marque d’attachement, jointe à bien d’autres, établit entre nous tant de liens d’affection, qu’à cette heure je vous regarde comme l’un des membres de ma famille… » — Cela est-il vrai, mon père ?…

— Ensuite ?… qu’est-ce que tout ceci a de commun avec les horribles excès dont ce Lebrenn a été aujourd’hui l’un des instigateurs en poussant le peuple à la révolte ? Ne vous ai-je pas raconté, ma fille, l’exécrable assassinat dont j’ai été témoin ?

— Et de quel droit, mon père, accusez-vous M. Lebrenn d’être complice de ce meurtre ? L’avez-vous vu parmi ces forcenés ?… A-t-il seulement par la pensée trempé dans ce crime ?… Quel mal a-t-il donc fait ? Artisan… il a courageusement affronté, la poitrine nue, les canons de la Bastille ! et il a été glorieusement blessé à cette attaque héroïque ?

— D’où vient donc, s’il vous plaît, ma fille… votre inconcevable opiniâtreté à défendre cet homme… à prendre son parti contre moi ? — Et, s’adressant à sa femme, l’avocat ajoute : — Y comprends-tu quelque chose ?

— Hélas !… je ne comprends que trop, — se dit tout bas madame Desmarais, et elle reprit tout haut : — N’attache pas d’importance aux paroles de Charlotte… ce sont de folles imaginations de jeune fille…