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— Marquise… vous avez entendu à souper le vicomte de Mirabeau déplorer la félonie d’un frère indigne de sa race ?… Notre maison eut, hélas ! aussi son Mirabeau… lors des guerres religieuses du treizième siècle.

— Serait-il vrai ?… Quoi ! un Plouernel ?

— Je l’avoue la rougeur au front… Oui, un Plouernel, traître à sa foi, à son roi, a embrassé l’hérésie et les principes républicains de cette exécrable époque… bien plus… il a… mais à quoi bon rappeler ces souvenirs détestés dont j’ai honte pour ma maison ?… Parlons de notre amour, Victoria…

— Non… parlons de ce traître… sa félonie me semble faire resplendir davantage le lustre de votre loyauté chevaleresque.

— De grâce… Victoria…

— Je vous en prie…

— Eh bien ! mon aïeul ce colonel de Plouernel, non content de vouer son épée, sa vie, sa fortune, à la cause protestante et républicaine, s’est dégradé jusqu’à contracter des liens d’amitié avec une ignoble famille vassale et ennemie séculaire de notre maison…

— Comment pouvez-vous être instruit de cette haine séculaire ?

— Cette famille d’origine gauloise… a perpétué par une tradition domestique la haine de race que ce peuple asservi par nous, conquérants d’origine franque, nous porte depuis des siècles…

— Une pareille tradition perpétuée dans une famille vassale… est-ce possible ?… Les patriciens seuls ont, ce me semble, une tradition, des archives ?

— Quoiqu’à peine croyable, le fait existe. Un manuscrit autrefois laissé par ce renégat de colonel de Plouernel nous a appris que cette famille s’est transmis d’âge en âge une sorte de légende plébéienne, afin d’entretenir chez ses descendants un diabolique esprit d’aversion et de révolte contre l’Église, la noblesse et la royauté.

— En vérité, comte… J’ai peine à vous croire…

— Rien de plus vrai, vous dis-je, marquise… Quoi d’étonnant