Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous, les nôtres ou nos secrets émissaires, mêlons-nous sous des déguisements à cette affreuse populace ; provoquons, irritons sa soif de carnage… portons les premiers coups… pillons, incendions la première maison… coupons, s’il le faut, la première tête… fût-elle celle d’un de nos amis… afin d’éloigner de nous tout soupçon de complicité… faisons couler le premier sang afin d’allécher la bête féroce et de la mettre en rut de pillage et de massacre !

le vicomte de mirabeau, avec horreur. — Mordieu ! monsieur l’abbé ! nous prenez-vous pour des valets de bourreau ?

le comte de plouernel. — Est-ce que nous sommes des coupeurs de têtes ?

l’abbé morlet. — Peste ! vous êtes bien délicats, messieurs les gentilshommes ?

le duc. — Le comte a raison… Dites-nous : Montez à cheval et chargez cette canaille armée de piques et de mousquets rouillés… Soit, c’est une manière de bataille. La fumée de la fusillade empêche de voir que l’on se bat contre des croquants… L’on peut se faire illusion et se croire à la guerre.

le chevalier. — Mais nous mêler à la canaille… aux pillards… les pousser au meurtre…

le comte de plouernel. — Il faut que vous ayez perdu la raison l’abbé, pour oser nous proposer un pareil rôle…

l’abbé morlet. — Ce rôle sera donc le nôtre, si vous le permettez[1]… Nous l’avons déjà très-utilement joué à notre profit, ce rôle-là, durant la sainte Ligue… En somme, vous craignez toujours, messieurs les gens de cour, de tacher de boue et de sang vos manchettes de dentelles et vos bas de soie… Nous autres, moins pro-

  1. Voir, pour la conduite analogue de l’abbé Le Roy (affidé du Comte d’Artois), lors de l’envahissement de la fabrique de Réveillon, au faubourg Saint-Antoine, l’admirable Histoire de la Révolution de Louis Blanc. Nous sommes heureux de pouvoir donner ici ce témoignage public de notre sympathique et vieille amitié pour notre illustre compagnon d’exil.