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peuple reproche à la bourgeoisie d’avoir substitué le privilége du sac d’écus au privilége de la noblesse, d’avoir remplacé le pouvoir royal par une oligarchie de trafiquants, souverains maîtres du gouvernement et du capital… La bourgeoisie reproche au peuple ses ombrages, sa stupide impatience, ses appétits brutaux, son ignorance, sa misère ; alors notre triomphe sera, je vous le répète, prochain et assuré ! Mais il aura fallu de longue main préparer ce triomphe ! en empêchant surtout, avant tout, le peuple et la bourgeoisie de se rapprocher, de s’entendre… de s’accorder fraternellement de mutuelles concessions ; il aura fallu redoubler chez le bourgeois la crainte que lui inspire l’inculte et énergique prolétaire, et redoubler chez celui-ci la défiance que lui inspire le bourgeois… Il aura fallu enfin pousser aux plus effroyables excès, non le peuple honnête, laborieux, intrépide… le peuple qui affronte, la poitrine nue, le fusil et le canon… Ce peuple-là répugne au pillage et aux lâches massacres, il ne faut point s’y tromper…

le duc. — Allons donc, l’abbé… parler ainsi de cette populace immonde et féroce !

l’abbé morlet. — Monsieur, nous sommes ici pour examiner froidement le fond et le vrai des choses… tant pis pour vous si le dédain vous aveugle… C’est en s’abusant qu’on se perd.

victoria. — Ceci est parfaitement juste…

l’abbé morlet. — Le vrai peuple… le peuple qui se bat… je le répète, répugne au pillage et aux lâches massacres… mais… fort heureusement pour nous, la lie de ce bon et honnête peuple, la populace, cette multitude de gens sans aveu, de bandits qui grouillent à Paris, n’y répugne point, au pillage, au massacre… tant s’en faut !! Il nous sera donc plus que facile de la pousser aux plus effroyables excès ; de sorte que ce benêt de bon et brave peuple, si aisément confondu avec la vile populace, endossera bel et bien l’horrible responsabilité de ces énormités. Peut-être même, en un jour de sanglant vertige, poussé à bout par la trahison, par la mi-