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geoisie, par ses préjugés invétérés, par son orgueil, par sa richesse, est et sera longtemps encore en majorité aussi hostile au populaire qu’à la noblesse…

l’abbé morlet, entraîné malgré lui. — C’est merveille de voir… et je m’en applaudis, combien les pensées de madame la marquise s’accordent avec les miennes. Cet antagonisme qu’elle signale peut être un jour, et sera notre salut !

victoria. — Comment cela, monsieur l’abbé ?

l’abbé morlet. — D’abord, je n’ai nulle confiance dans le parti de la cour.

(Tous les convives murmurent violemment. Le jésuite reste impassible.)

victoria, à part. — Ce prêtre est le seul homme dangereux ici.

l’abbé morlet, imperturbable. — Je n’ai donc aucune confiance dans le parti de la cour. Il sera impuissant à arrêter la marche de la révolution… Au fond il méprise le roi… et tour à tour séduit par l’étourderie chevaleresque du comte d’Artois, ou par l’égoïsme froid et cruel de Monsieur, comte de Provence, lequel ne serait point autrement fâché de voir un jour couper le cou à son royal frère, s’il devait, lui, Monsieur, hériter du trône ; le parti de la cour, sans nerf, sans initiative, toujours indécis sur le choix de son chef, commettra suffisamment de noirceurs, de trahisons pour perdre et faire condamner légalement la monarchie, au lieu d’avoir l’intelligence et l’audace de la sauver par un heureux crime d’État !

le comte de plouernel, le duc, le marquis. — Morbleu ! l’abbé, vous êtes trop outrecuidant !

l’abbé morlet, impassible. — La révolution précipitera son cours… les députés du tiers état, poussés malgré eux par la farouche impatience et les menaces du populaire, attaqueront un jour la royauté, après avoir attaqué la noblesse, et attaqueront l’Église… après avoir attaqué le trône… Donc, la royauté, la noblesse, succomberont devant la fougue des tribuns, appuyée de formidables insurrections